Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Nous redoutons un enterrement pur et simple

Réforme en cours de l’éducation prioritaire -

Par / 2 mars 2021

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec beaucoup d’espérance que le groupe communiste républicain citoyen et écologiste porte ce débat sur le devenir de l’éducation prioritaire, l’une des rares politiques nationales visant à lutter contre les inégalités sociales.

Certes, celle-ci répond aujourd’hui imparfaitement aux enjeux. L’an passé, le président Laurent Lafon et notre collègue Jean-Yves Roux avaient rédigé un rapport, qui pointait très justement certaines carences dans la définition de la carte de l’éducation prioritaire. Je rappellerai ce chiffre : 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP (réseaux d’éducation prioritaire) ou en REP+.

Il est indispensable d’améliorer le dispositif, afin de consolider ces deux objectifs que sont la justice sociale et l’élévation du niveau de connaissances des élèves, notamment en travaillant en réseau, car c’est aussi cela l’intérêt de l’éducation prioritaire. Celle-ci ne se résume pas, même si c’est évidemment très important, à des moyens supplémentaires : elle fait travailler ensemble différents acteurs territoriaux au service de la réussite éducative.

Le premier article du code de l’éducation précise clairement que le service public de l’éducation « contribue à l’égalité des chances et à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement ».

J’arrête la citation en observant que la réalité est malheureusement tout autre, puisque la France reste en queue de peloton en ce qui concerne la résorption des inégalités scolaires et sociales.

De trop nombreuses fermetures de classe en réseau d’éducation prioritaire sont annoncées cette année encore. Cela affaiblit la politique de dédoublement des classes mise en œuvre par ailleurs. Ces mesures sont particulièrement incompréhensibles en ces temps de crise sanitaire où distanciation physique et soutien renforcé aux enfants sont absolument nécessaires.

Le maillage territorial des zones d’éducation prioritaire (ZEP) est aujourd’hui insuffisant. Ce constat est assez largement partagé sur l’ensemble de nos travées : la détermination du label par le collège de secteur n’est pas, ou n’est plus, efficace. Les écoles rurales, qui connaissent elles aussi des difficultés, s’en trouvent exclues. Or il n’y aucune raison d’opposer les écoles des quartiers et les écoles des campagnes, en prenant des moyens aux unes pour les donner aux autres.

Comme le relevait le rapport Mathiot – Azéma, l’éducation prioritaire a fait l’objet d’un recentrage sur les zones de concentration de la difficulté sociale et scolaire, qui met de côté d’autres zones aux problématiques spécifiques, comme c’est le cas de certaines zones rurales dans lesquelles l’éloignement des établissements est important, problème qui s’ajoute à d’autres freins existants.

Par ailleurs, même en ville, de nombreuses écoles ayant toutes les caractéristiques pour être en REP s’en trouvent exclues, car leur collège de secteur n’en remplit pas les critères.

Ainsi, que ce soit à la ville ou à la campagne, ces écoles dites « orphelines » n’ont tout simplement pas accès aux moyens supplémentaires auxquels elles pourraient pourtant légitimement prétendre.

Vous annoncez vouloir répondre à ces défis en expérimentant un nouveau dispositif dans trois académies à la rentrée prochaine. Nous craignons que le remède soit pire que le mal et que ce soit finalement l’enterrement pur et simple de l’éducation prioritaire qui se joue là.

D’abord, on voit mal comment nous pourrions relever le défi consistant à aboutir, à moyens constants, à un plus important maillage des réseaux d’éducation prioritaire, incluant certaines zones rurales. Nous voudrions du reste obtenir la garantie que les REP+ seront véritablement sanctuarisés.

Et que dire du calendrier ? À la rentrée 2021, les trois académies de Lille, Aix-Marseille et Nantes appliqueront la réforme à titre expérimental, et ce jusqu’en 2024, avec un premier bilan tiré en 2023. Qu’arrivera-t-il en 2022 au moment du renouvellement de la carte des REP ? Sera-t-il à nouveau ajourné ? Je rappelle que la révision de cette carte aurait dû avoir lieu en 2019 et qu’elle a déjà été reportée.

Nous pensons au contraire que ce zonage devrait être réexaminé maintenant, pour prendre en compte les difficultés engendrées par le confinement du printemps dernier et les dégâts sociaux qu’entraîne la crise sanitaire.

La contractualisation qui serait désormais la règle, en lieu et place du travail en réseau, nous interpelle aussi. Nous sommes favorables à une allocation des moyens tenant compte de la réalité concrète mais, d’une part, l’application des différents critères par les services de l’éducation nationale est souvent très technocratique et, d’autre part, que se passera-t-il lorsqu’au bout des trois années requises les contrats locaux d’accompagnement ne seront pas reconduits ?

Les établissements ayant signé un contrat avec le rectorat perdront-ils tous leurs accompagnements spécifiques ? Quid par exemple des dédoublements ? Maintiendra-t-on le dédoublement dans une école qui n’est pas retenue pour mettre en œuvre un contrat local d’accompagnement (CLA) ? Poser la question revient, je le crois malheureusement, à y répondre.

Et pourquoi cette durée d’ailleurs ? Pensez-vous vraiment qu’il s’agit d’une durée suffisante pour que les différents acteurs parviennent à engager des dynamiques positives ? Beaucoup d’entre nous, ici, vous ont au contraire alertée sur la nécessité d’une stabilisation des équipes pédagogiques, afin de leur donner le temps de bâtir des projets solides et durables.

De plus, la contractualisation porte en elle le germe d’une mise en concurrence. Nous avons malheureusement de nombreux exemples qui le prouvent.

Ainsi, une commune rurale de mon département de Seine-Maritime s’est vue refuser l’obtention du label « école du numérique » au motif à peine voilé qu’elle est à classe unique, alors que l’heure est aux regroupements, parfois forcés.

D’autres communes qui envisageaient un projet de regroupement pédagogique, avec le maintien de classes dans chacune des communes rurales, ont elles aussi été confrontées au rejet de leur projet par les services académiques, pour lesquels le regroupement ne peut se concevoir que dans un seul lieu, excluant toutes les autres communes, avec les conséquences que l’on connaît.

Comment éviter cette forme de pression et s’assurer que l’attribution des contrats ne répondra pas qu’aux seules exigences académiques, mais aussi à celles des autres acteurs éducatifs de terrain ?

Comment élargir les dispositifs permettant de donner plus à ceux qui ont moins ? Voilà la seule question qui devrait se poser, tout particulièrement dans le contexte que nous vivons.

Cela passe par des moyens supplémentaires. J’évoquais précédemment la carte scolaire. À la rentrée prochaine, les dotations horaires globales (DHG) dans les collèges et les lycées entraîneront une hécatombe. Les enseignants se préparent à faire cours dans des classes de plus de vingt-huit élèves, là où les effectifs devraient être limités à vingt-quatre ou vingt-cinq.

Quant aux heures supplémentaires prévues pour soit-disant compenser la baisse du nombre de postes, elles ne sont pas effectuées pour un très grand nombre d’entre elles. Près de 12,5 millions d’euros de crédits dédiés à ces heures supplémentaires n’ont ainsi pas été consommés en 2019. On comprend mieux pourquoi, dans le Val-de-Marne par exemple, un collège en REP attend depuis plusieurs mois le remplacement d’une professeure d’histoire, dont le congé court jusqu’en juillet prochain, ou encore pourquoi un élève de Seine-Saint Denis perdrait en moyenne un an d’étude entre la maternelle et le lycée, faute de remplaçants. On pourrait citer de nombreux autres exemples dans nos départements.

Je voudrais enfin évoquer la situation des personnels qui travaillent dans les REP et les REP+.

Moins de 3 % des 2 milliards d’euros consacrés à la formation des enseignants sont destinés à ceux qui exercent en ZEP : c’est évidemment inversement proportionnel aux besoins.

De même, il n’est pas du tout pertinent à nos yeux de fondre la prime REP dans la prime d’activité, sauf à vouloir peu à peu utiliser l’une pour pallier l’autre.

Il est urgent, à notre sens, de relancer le processus de l’éducation prioritaire. En ce sens, nous proposons de cibler plus finement les établissements, en s’attachant plus fortement au lieu de vie et en s’appuyant, notamment, sur les données sociales de l’Insee et des services communaux.

En intégrant automatiquement dans les REP les écoles situées dans des quartiers prioritaires de la politique de ville ou des communes percevant la dotation de solidarité urbaine ou la dotation de solidarité rurale, en dotant mieux ces écoles, nous éviterions sans doute plus efficacement les dérogations à la carte scolaire.

Dans la même perspective, il faut renforcer la formation des enseignants en REP et y affecter plus de remplaçants. Je l’ai dit, cela demande à la fois des moyens de formation et des effectifs en hausse.

Dans ce sens toujours, pourquoi ne pas envisager une pluriannualisation des attributions et des retraits de postes ? Voilà qui permettrait par exemple de remédier aux effets de seuil souvent évoqués. Cela inscrirait les équipes pédagogiques dans la durée et permettrait d’anticiper d’éventuels mouvements de population et d’en finir avec ces décisions couperets, qui déstabilisent toute la communauté éducative.

Il est nécessaire, aussi, d’accorder des bonifications aux professeurs et de prévoir davantage d’infirmières. Les collectivités locales doivent pouvoir être associées à une réflexion sur l’ensemble de ces sujets.

De même, les AESH, les accompagnants d’élèves en situation de handicap, et les assistants d’éducation sont des partenaires à part entière de l’éducation.

On l’a dit, il y a urgence. La crise sanitaire mute en une crise sociale, et nous craignons, avec l’expérimentation que vous lancez, madame la secrétaire d’État, qu’il ne s’agisse davantage de tuer l’éducation prioritaire que de lui donner un nouveau souffle.

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Céline Brulin. Voilà, mes chers collègues les éléments dont nous aimerions débattre avec vous ce soir.

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