Une logique comptable, au détriment de la qualité du service aux usagers
Situation des comptes publics et réforme de l’État -
Par Marie-Claude Varaillas / 1er décembre 2021Monsieur le secrétaire d’État, la Cour des comptes émettait l’année dernière un avis sévère sur le plan Préfectures nouvelle génération (PPNG) : « Détaillé quant à ses objectifs de gains de productivité et de calendrier, le projet ne formulait initialement aucun objectif précis d’amélioration de la qualité du service rendu aux usagers. »
Érigé en emblème de la logique de modernisation et de simplification des démarches administratives, ce plan révèle les manquements des intentions des réformateurs de l’État, qui ont décidé de prendre un virage abrupt vers le tout-numérique, commandé par une logique comptable, au détriment de la qualité du service rendu aux usagers.
Je prendrai comme exemple le remplacement des anciens services dits « titres » par les centres d’expertise et de ressources des titres (CERT), qui mettent en œuvre, non sans difficulté, la dématérialisation de la délivrance des quelque 24 millions de titres tels que les passeports, les permis de conduire ou les cartes grises. Les tâches imprévues de ces CERT exigeraient 350 équivalents temps plein supplémentaires. Les centres d’appel en requerraient 300, car, actuellement, seuls 71 % des appels sont traités. On y compte jusqu’à 30 % de contractuels, qui se substituent aux titulaires.
Les points de contact, heureusement, subsistent, et ils sont le signe que l’ambition portée par les téléprocédures n’est pas satisfaisante pour les personnes fragiles et dépendantes. Cette déshumanisation du rapport des citoyens à l’État et à ses agents, loin de générer des économies, engendre un surcoût de 15 millions d’euros par an pour l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) et de 40 millions d’euros en outils informatiques, quand vous supprimez 1 000 postes.
Ces dysfonctionnements favorisent le développement des services privés. D’ailleurs, les sites des ministères renvoient même les citoyens vers ces offres.
Deuxième exemple : en Dordogne, la Cimade m’a appris que, sur le site de la préfecture, aucun créneau de rendez-vous pour le renouvellement des cartes de résident de dix ans n’était disponible entre avril 2020 et septembre 2021.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Marie-Claude Varaillas. En l’absence d’alternative, ces publics potentiellement éloignés de la langue française et du numérique risquent, faute d’accueil, d’être privés de leurs droits et placés en situation d’illégalité.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, je vais abonder dans votre sens, et prendre l’excellent cas des PPNG comme l’exemple à la fois d’une forme d’erreur, mais aussi d’une correction apportée.
Vous ne siégiez pas dans les majorités précédentes, madame la sénatrice, mais l’ensemble des majorités – je nous y inclus –, au début de ce quinquennat, a commis l’erreur de considérer que la numérisation était inéluctable, qu’elle se ferait, que tout le monde s’y convertirait, et que tout se passerait bien.
Comme l’a rappelé la sénatrice Lavarde, alors que nous avions initialement promis 100 % de numérisation, nous avons ralenti. Nous avons en effet considéré, au vu des problèmes rencontrés par l’ANTS en matière de délivrance de permis de conduire, qu’il fallait s’occuper de la qualité avant de s’occuper de la quantité. La numérisation va dans le sens de l’Histoire, mais elle doit être accompagnée pour tous ceux qui ne se sentent pas capables d’utiliser des outils numériques.
Il faut donc réinjecter de l’humain. D’où la mise en place des conseillers numériques France services et d’une approche, au sein de l’ANTS, partant de la qualité de service et de la capacité à répondre à la demande des usagers pour aboutir à une réduction des délais d’attente et à une augmentation de la satisfaction des usagers. Avons-nous fait le tour de la question de la qualité de l’expérience des usagers dans leur relation au service public ? Non. Mais je peux vous assurer que l’approche de la numérisation des services publics s’est transformée, et part désormais de la qualité avant de se préoccuper de quantité.