Entendez la France rurale plutôt que de vous conformer aux exigences de Bruxelles
Territoires ruraux et réforme territoriale -
Par Gérard Le Cam / 12 juin 2014Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sentiment profond d’abandon ressenti par les collectivités et les populations rurales va encore être accentué par la réforme territoriale en cours.
Au plan financier, la ponction de 11 milliards d’euros de dotations, ainsi que les menaces de sanctions, de mise à la diète, de conditionnement des dotations et de mutualisation forcée contredisent le concept de libre administration de nos collectivités locales. Toutes ces intentions gouvernementales vont à l’encontre du débat que nous avions mené ensemble lors de l’examen de ma proposition de loi visant à revaloriser la dotation globale de fonctionnement des communes de moins de 20 000 habitants.
Au plan politique, votre réforme, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, contredit frontalement les grandes réformes de décentralisation des années quatre-vingt. Elle impose une vision verticale de la politique, du haut vers le bas, entre l’État et les communes, les régions, les métropoles, et les intercommunalités en seront les serviteurs zélés et obligés.
Enfin, au plan humain, les non-dits de la réforme vont vider les communes de leurs compétences au profit des intercommunalités et tuer la démocratie de proximité et le lien social qui s’opère autour des associations, des écoles, des bénévoles et des élus locaux.
Tous ces dégâts, qu’ils soient de caractère financier, démocratique ou humain, sont prévisibles. Ne croyez-vous pas qu’il est urgent de consulter les élus, les personnels territoriaux et les populations, afin d’entendre la France rurale, au lieu de vous conformer aux exigences de Bruxelles, du MEDEF et des prêteurs institutionnels ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur Le Cam, nous débattons depuis longtemps de l’évolution proposée. Au-delà de nos possibles divergences et des a priori, nous devons nous interroger ensemble sur le point de savoir si les communes peuvent, permettez-moi cette expression, « tenir le coup » face à la forte demande de services de leur population, qu’il s’agisse de haltes-garderies, de services à la petite enfance, etc. C’est un sujet que nous avons souvent évoqué.
Nous sommes parvenus à un moment de notre histoire où nos concitoyens demandent des services que nous ne pouvons pas leur procurer si, les uns et les autres, nous nous cantonnons à nos communes.
Nous ne devons pas nous cacher la réalité. Votre commune – j’ai la chance de la connaître – se porte bien. Mais, en France, l’hyper-richesse côtoie l’hyper-pauvreté, et nous n’avons pas trouvé d’autre réponse à apporter à ce phénomène que des intercommunalités plus fortes. Bien entendu, il faut tenir compte de la densité démographique pour éviter de se retrouver avec des intercommunalités de 200 kilomètres. À cet égard, je pense que la notion de bassin de vie correspond aux attentes de nos citoyens.
Votre question porte essentiellement sur la démocratie. Dans la Haute Assemblée, il importe de répéter que c’est le maire qui représente la République, c’est lui qui dresse des actes en tant qu’officier ministériel. Ce sont les intercommunalités qui portent l’investissement et les nouveaux services. Nous devrons réfléchir ensemble à leur avenir. Selon moi, les décisions à prendre ne sauraient venir d’en haut, mais doivent résulter de l’observation des territoires. Je vous invite, monsieur Le Cam, à participer aux futurs débats, car cette observation nous apprend beaucoup, et je sais votre attachement aux territoires et à leur évolution.
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour la réplique.
M. Gérard Le Cam. Madame la ministre, chère collègue bretonne, je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention. « Les communes vont-elles tenir le coup ? » vous demandez-vous. Je suis à l’origine d’une proposition de loi, débattue voilà peu de temps dans cette assemblée, dont l’adoption aurait permis, avec moins de 1 milliard d’euros, d’augmenter de manière très significative les moyens de l’ensemble des communes rurales de moins de 20 000 habitants. Tous les sénateurs et les sénatrices, sur quelques travées qu’ils siègent, partageaient cette idée, même si elle n’a pas été concrétisée.
Pour ma part, je pense que les communes peuvent « tenir le coup », mais qu’il ne faut surtout pas rompre l’équilibre qui existe aujourd’hui entre communes et intercommunalités.
Nous avons besoin d’intercommunalités, certes, mais aussi de communes et de maires de plein exercice qui, demain, ne soient pas des administrateurs de politiques venues d’en haut. Et c’est cette idée de communes autour desquelles s’agglomèrent nos concitoyens et auxquelles ils s’identifient que je veux défendre ici, comme les plus de 36 000 autres maires de notre pays, au nom de l’héritage de la Révolution française. Faites attention à ne pas briser cela !