Sortir du pathos est une nécessité si l’on veut combattre les idées nauséabondes

Sortir du pathos est une nécessité si l'on veut combattre les idées nauséabondes - Commission d'enquête sur le service public de l'éducation, les repères républicains et les difficultés des enseignants

Contribution de Patrick Abate pour le groupe Communiste, Républicain et Citoyen.

Cette commission d’enquête, lancée à la suite des perturbations ayant émaillé la minute de silence en hommage aux victimes de janvier, s’était donnée pour objectif de comprendre les causes de ces incidents. Ces derniers, quelques centaines, et de nature très différente, pour 65 000 établissements sont-ils le marqueur de la déliquescence des valeurs républicaines ?

Réduire cette question légitime à une focale sur la laïcité reviendrait à dévoyer les valeurs et le sentiment républicains. L’Ecole, intégrée dans la société, ne saurait faire l’objet d’un procès en antirépublicanisme. Toutefois, il convient de s’interroger sur l’existence et les raisons d’une défiance d’une partie de la population vis-à-vis de la République. Si cette minute de silence avait été une minute de paroles, la question se serait-elle posée ?

A certains moments de notre Histoire, les commémorations étaient indiscutablement révélatrices et créatrices d’unité nationale. Ces pratiques sont-elles aujourd’hui les plus à mêmes de permettre le souvenir des grandes tragédies et une union dans le pays ?
Il ne s’agit bien évidemment pas de minimiser la gravité de ce que nous commémorons tout au long de l’année, ni de faire tomber dans l’oubli ces temps sombres de notre Histoire. Il s’agit plutôt de savoir si une minute de silence, bien souvent subie car péremptoire, peut permettre une prise de conscience et un retour critique sur les évènements.

Plutôt qu’une minute de silence, pourquoi ne pas avoir fait instituer, sur demande du Ministère, un temps de discussion autour des évènements ? De nombreux enseignants l’ont fait, ont souvent été incompris, quelques fois sanctionnés.
Pourtant, sortir du pathos est une nécessité si l’on veut combattre les idées nauséabondes. Ce n’est qu’en permettant la compréhension des tenants et des aboutissants de ces tragédies qu’il sera possible pour tous de déconstruire les discours de ceux qui en font l’apologie, et ainsi réduire leur portée jusqu’à leur disparition.
Au final, la mission essentielle de la pratique mémorielle tombe sur un écueil : elle peut être respectée, quand bien même ce n’est qu’un respect de surface et une unité superficielle est créée. Elle peut être perturbée, même de manière mineure, et la polémique traverse la communauté nationale.

L’Ecole, institution au cœur de notre système démocratique et républicain, doit être à l’avant-garde de la transmission des valeurs de la République. Issus du courant philosophique et politique des Lumières, nous voulons croire en une Ecole qui permette l’émancipation de la jeunesse par la Raison et le Savoir et son intégration dans notre société. Il nous paraît essentiel de rappeler notre attachement à un système éducatif qui favorise la réussite et l’égalité de fait, indépendamment des conditions préalables d’existence et des déterminismes sociaux. C’est ici la première étape, fondamentale, à la sensibilisation républicaine.

Mais c’est aussi là que le bât blesse : l’Ecole a de plus en plus de mal à résorber les inégalités sociales. Pire, on a affaire à une double dynamique particulièrement dangereuse, la tentation de gommer les différences tout en ne réduisant pas les inégalités. De fait, ceux qui sont les plus démunis socialement peuvent être tentés de se refermer sur les cercles qui leur sont propres. Comme le souligne Camille Peugny dans son ouvrage Le destin au berceau, « sept enfants de cadres sur dix exercent un emploi d’encadrement quelques années après la fin de leurs études ; à l’inverse, sept enfants d’ouvriers sur dix demeurent cantonnés à des emplois d’exécution ».

Ainsi, l’Ecole et la République dans son ensemble, semblent faillir dans leur rôle émancipateur. Il est temps de réinvestir rapidement dans notre système éducatif en permettant la préservation et le développement à la fois de dispositifs de suivi des difficultés scolaires, trop rares, mais aussi d’initiatives d’accès aux langues, à la culture ou aux loisirs. L’Ecole se doit d’être un ascenseur social pour notre jeunesse, et ainsi être la digne représentante des valeurs de la République.

On ne décrète pas l’efficacité de l’imprégnation des valeurs républicaines, c’est le résultat d’une alchimie complexe dans laquelle l’enseignant est un vecteur essentiel. A ce titre, la nécessaire revalorisation du métier d’enseignant passe par une formation initiale et continue toujours plus poussée, leur permettant à la fois de donner cours, mais aussi de faire vivre une classe et de favoriser l’émergence de la transdisciplinarité, l’enrichissement mutuel par la reconnaissance et le respect de la diversité, ainsi que l’esprit critique.

A notre sens, l’enseignement des valeurs républicaines passe par l’enseignement de symboles, par le biais de cours d’enseignement civique, d’Histoire, de Géographie et de Français. Les réformes à venir sur les programmes scolaires doivent donner l’ensemble des outils aux enseignants pour permettre la transmission des valeurs de la République, non pas comme un étendard porté aveuglement, mais plutôt comme une prise de conscience de ses bienfaits. Dans ce cadre, l’instauration de rites républicains peut paraître inefficace et ne constituer qu’un vernis.

Les préconisations qui découlent de ce rapport n’apportent aucune réponse satisfaisante aux problématiques de l’Ecole et des valeurs républicaines. Loin de renforcer le vivre-ensemble, elles s’inscrivent dans une démarche contre-productive, voire dangereuse. Elles reflètent pour l’essentiel une vision passéiste et démagogique. Elles sont sous-tendues par des préoccupations politiciennes, une espèce de fuite en avant, terreau de tous les extrémismes. Elles divisent alors que notre République s’est fondée et s’est affermie sur la rencontre de toutes ses composantes, enrichies par leur diversité.

Retour en haut