La gouvernance d’internet et la gestion des attaques aux données par le biais du numérique devraient, à notre sens, relever d’une compétence étatique

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le premier vice-président de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd’hui est capital. Il s’inscrit dans une discussion plus globale sur l’évolution technologique et les nécessaires adaptations que celle-ci implique. Nos ancêtres ont dû avoir les mêmes préoccupations lors du développement de l’imprimerie...

De moins de 100 millions d’utilisateurs d’internet en 1995, nous sommes passés à plus de 3 milliards aujourd’hui.
Cette révolution technologique a eu des conséquences extraordinaires et véhicule un certain nombre de craintes. En tant qu’élus, c’est aussi à nous d’apaiser les peurs et de trouver les solutions pour que puissent émerger une société du numérique et un internet libre, fiable et sécurisé.

On ne peut donc que féliciter très sincèrement pour leur travail nos collègues Anne-Yvonne Le Dain et Bruno Sido. De nombreuses recommandations contenues dans leur rapport sont très intéressantes, comme celles qui sont relatives à la sécurité des entreprises, notamment des plus petites d’entre elles.
Je retiens également celles qui concernent les conditions de l’autonomie numérique, et donc de la souveraineté.

Dans le temps qui m’est imparti, j’évoquerai simplement le premier volet, celui de la culture du numérique, en commençant par un petit « hors sujet » - quoique… - sur les lanceurs d’alerte.

Ce premier volet est capital : le développement d’une culture du numérique dès le plus jeune âge doit être une priorité, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, l’usage massifié d’internet a conduit à de nouvelles exigences technologiques dans le cadre de l’insertion professionnelle et sociale. Malheureusement, les difficultés tant techniques que matérielles empêchent certaines familles d’accéder à un ordinateur personnel ou familial. On considère qu’aujourd’hui environ 25 % des foyers de notre pays ne sont pas équipés d’un ordinateur ou d’une tablette.

Face à cette massification incomplète de l’accès au numérique, c’est à l’école de la République, émancipatrice, de veiller à ce que tous les écoliers du pays puissent s’intégrer dans la société, y compris en maîtrisant l’informatique. Ce constat est bon pour la jeunesse, mais il vaut également pour l’ensemble des classes d’âge, en particulier pour les personnes âgées. Ainsi, la maîtrise des outils informatiques peut être synonyme de barrage contre l’exclusion et la solitude. De nombreuses maisons spécialisées et associations ont d’ailleurs lancé des programmes d’apprentissage et d’équipement en ce sens.

Deuxièmement, l’émergence d’une culture du numérique doit favoriser la gouvernance du réseau, non pas imposée brutalement, mais intégrée et comprise... Si on peut légitimement se féliciter que le réseau des centres d’alerte états-uniens ait homologué une vingtaine de structures en France, on peut regretter que seules cinq d’entre elles soient publiques et coordonnées par l’État.

La gouvernance d’internet et la gestion des attaques aux données par le biais du numérique devraient, à notre sens, relever d’une compétence étatique, en partenariat avec les autres États européens, et même tous les pays du monde. Cela serait la garantie d’une sécurisation des données sensibles pour tous, y compris les entreprises. Pour celles-ci, en effet, la question de la sécurité numérique doit répondre à une exigence d’équilibre entre droit à l’information des citoyens et protection de données sensibles.

Il est évident qu’il faut protéger les entreprises, mais il y a un équilibre à trouver pour qu’elles se sentent en sécurité sans pour autant être intouchables.

Troisièmement, le développement d’une culture du numérique n’est pas une fin de soi, mais il doit être le moyen de faire émerger de nouveaux progrès techniques, scientifiques, sociaux, à l’image de ce qu’a été la démocratisation de l’accès au livre et les avancées qu’elle a induites. Le partage de connaissances et de savoirs de tous les horizons, l’émulation du travail collectif ?... Un réseau immatériel peut le permettre et l’encourager de manière exceptionnelle.

Nous sommes, je pense, tous d’accord ici pour dire que le développement d’internet et du numérique est une chance pour l’Humanité.

Cela étant dit, il me semble que ce développement et les préoccupations qu’il implique ne peuvent pas se limiter aux entreprises et à la préservation de leurs secrets. Dans le même temps, on s’oriente de plus en plus vers l’ouverture commerciale des données privées des citoyens et des données publiques.

Pour ce qui concerne les entreprises, ma crainte, malheureusement trop souvent confirmée, est qu’à force de vouloir absolument protéger nos entreprises et leurs secrets, on en vienne à faire tomber dans l’oubli des dérives et des scandales dont les salariés et les citoyens sont en droit d’entendre parler. La liberté des entreprises ne peut et ne doit pas se faire au détriment des citoyens, et de ceux qu’on appelle les lanceurs d’alerte.

Je sais qu’il est difficile de trouver un équilibre entre sécurité et protection des lanceurs d’alerte, mais les mesures proposées dans le rapport n’abordent pas vraiment cet aspect des choses.

À l’heure où les « conditions de travail » des lanceurs d’alerte sont de mieux en mieux prises en compte dans certaines zones du globe – en Suède, en Australie -, et de plus en plus en recul dans d’autres, notamment en France et en Europe, il paraît essentiel de se pencher sur cette question.

Je profite de ce débat pour évoquer cette question, car le lien est double, à mon sens : la recherche d’une protection de plus en plus accrue des données des entreprises a conduit à la répression des lanceurs d’alerte, et le développement d’internet a permis la massification d’un mouvement qui, de fait, existe depuis les libelles et pamphlets...

Le développement d’internet a permis à ces citoyens de gagner en influence et en audience. Cependant, la législation manque aujourd’hui d’une définition globale permettant de protéger et les entreprises et les lanceurs d’alerte. Il y va, une nouvelle fois, du droit à l’information. L’organisation, le 28 avril, d’un débat sur le secret des affaires au Parlement européen, ainsi que la prochaine loi numérique, que l’on espère, seront des enjeux majeurs.

Sous prétexte de lutter contre l’espionnage commercial, va-t-on brider toutes les initiatives des travailleurs et consacrer l’opacité ? Où trouver un cadre légal qui autorise le droit à l’information, quitte à se pencher sérieusement, et avec un peu d’esprit critique, sur le sacro-saint droit au secret des affaires ?

Pour conclure, mes chers collègues, je rappellerai une dernière fois l’enjeu que nous devons porter aujourd’hui. À l’image de ce qu’il est pour les citoyens, le développement du numérique est une chance pour les entreprises.

M. Hubert Falco. Bien sûr !

M. Patrick Abate. Mais cela doit se faire dans le respect, à la fois, des conditions de travail des salariés et du droit à l’information des citoyens.

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