Le risque d’une fonction publique low cost

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de commencer mon intervention par une remarque sur le recours à la procédure accélérée pour l’examen de ce texte.

Il est tout de même étonnant qu’une telle procédure soit mise en œuvre pour un projet de loi déposé en juillet 2013 et dont le Gouvernement n’avait jamais demandé l’inscription à l’ordre du jour auparavant. (M. Pierre-Yves Collombat rit.) Aucune urgence ne motive cette nouvelle atteinte au travail parlementaire.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !

M. Christian Favier. Cela est même totalement incompréhensible si l’on considère qu’il s’agit du premier, et sans doute du dernier texte législatif portant sur la fonction publique que le Gouvernement soumettra au Parlement d’ici à la fin de la mandature.

Le statut des fonctionnaires, qui concerne directement plus de 5 millions d’agents et, plus largement, leurs familles, ainsi que l’ensemble de la population, mérite mieux qu’un débat raccourci et finalement bâclé.

Dans le climat actuel de stigmatisation permanente des fonctionnaires et au moment du trentenaire des lois portant statut général des fonctionnaires, présentées à l’époque par Anicet Le Pors, nous étions en droit d’attendre un tout autre texte.

Nous pouvions espérer un texte confortant la place et le rôle du service public dans notre société et renforçant les garanties statutaires, en commençant par le retrait de toutes les mesures prises par la droite ces dernières années qui ont fragilisé l’édifice statutaire.

Il est d’ailleurs à noter que, le jour où nous entamons l’examen de ce texte, les fonctionnaires se sont mobilisés à l’appel de plusieurs syndicats pour défendre leur pouvoir d’achat. Je tiens à leur exprimer le soutien de notre groupe.

Nous savons que leurs nombreuses préoccupations trouvent peu d’échos dans ce projet de loi. Nous savons aussi que d’importantes négociations ont été menées, madame la ministre, et que vous en menez encore.

Cela dit, la plupart des sujets évoqués ne trouveront une réponse éventuelle que d’ici à quelques mois. En une mandature, peu de choses auront réellement bougé ; on peut le regretter.

Certes, le texte qui nous est présenté aujourd’hui contient de nombreuses dispositions utiles au regard de la lutte contre les conflits d’intérêts, de la déprécarisation d’agents publics au statut incertain, de l’apport de nouvelles garanties dans certaines circonstances et de la promotion du dialogue social.

Cependant, le risque d’installation d’une fonction publique low cost reste présent, en particulier pour les versants territorial et hospitalier. Bon nombre de fonctionnaires ne disposent toujours pas pleinement de leur statut, du fait des fonctions qu’ils occupent dans certains organismes, telles les diverses autorités administrative créées ces dernières années.

Tel qu’il est présenté aujourd’hui, ce texte est devenu un projet de loi relatif à diverses mesures portant sur les droits et obligations des fonctionnaires, plutôt qu’un texte ambitieux fondant ou refondant un engagement politique fort en faveur d’une fonction publique démocratisée, ouverte et dynamique, au service de l’intérêt général.

En effet, il ne s’agit pas ici de modifier la convention collective de la fonction publique.

Le statut est un ensemble de garanties, non pas au seul bénéfice des agents, mais à celui de l’ensemble de notre société, de l’ensemble des citoyens, qui ont ainsi l’assurance de disposer, sur l’ensemble du territoire, de services publics accessibles et de qualité, de nature à répondre à leurs besoins. Ils ont ainsi la garantie du total respect des valeurs de la République dans la mise en œuvre des politiques publiques. Tel est le sens du pacte républicain que nous devons à nos concitoyens.

En ces temps troublés, c’est aussi une garantie pour notre cohésion nationale et un gage d’efficacité au service de tous, comme nous venons de le voir au travers des évènements tragiques que nous avons traversés.

Cette disponibilité, cet engagement au service de l’ensemble de nos concitoyens, sans discrimination d’aucune sorte, sont la marque d’une fonction publique que nous devons préserver.

On oublie bien souvent cet aspect du statut, qui est autant un ensemble de garanties en faveur des agents publics que l’assurance, pour les pouvoirs publics, de disposer des agents nécessaires à la mise en œuvre de leurs politiques. Ce statut représente aussi la garantie, pour chaque citoyen, de disposer d’une administration au service de l’intérêt général, respectueuse des principes républicains.

Aussi apprécions-nous les dispositions contenues dans ce texte visant à lutter contre les conflits d’intérêts, qui sont de nouveaux marqueurs au service de cet engagement. Pour s’appliquer, ces nouvelles règles devront en bousculer bien d’autres, non écrites, tenant à des fonctionnements hiérarchiques parfois trop pesants, sans parler de pratiques institutionnalisées qui font trop souvent d’un fonctionnaire l’exécutant d’une administration très hiérarchisée, et trop peu souvent un citoyen fonctionnaire agissant en pleine responsabilité.

Compte tenu de l’ensemble de ces remarques, vous comprendrez, madame la ministre, que nous ayons déposé plusieurs amendements.

Ainsi, pourquoi vouloir ajouter, dès l’article 1er, l’obligation de dignité à celles d’impartialité, d’intégrité et de proximité ? Peut-être l’auteur du texte s’est-il laissé influencer par les turpitudes d’un ancien ministre du budget, mais il faut se méfier des amalgames.

Nous serons particulièrement attentifs à la situation des contractuels. Il convient de lutter contre la précarité qu’ils subissent, en étendant le champ des dispositions de la loi Sauvadet.

Nous rejetterons aussi la remise en cause des restrictions au droit de grève persistant dans notre législation.

Enfin, nous serons vigilants à l’égard des amendements défendus par la majorité sénatoriale, craignant que les sénateurs de droite ne saisissent l’occasion de ce texte pour fragiliser la situation des fonctionnaires.

Pour conclure, nous regrettons que certains de nos amendements portant sur le droit de grève et sur les libertés syndicales aient été jugés irrecevables, au nom des dépenses que leur adoption entraînerait. C’est faire, à notre avis, peu de cas des libertés démocratiques. Aussi notre vote final dépendra-t-il de la teneur de nos débats et des modifications éventuelles qui seront apportées au texte.

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