Un véhicule législatif pour reporter une disposition de la loi NOTRe

Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par Jean Pierre Sueur tend à mettre en œuvre l’article 15 de la loi du 31 mars 2015 visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat.

Cet article 15 prévoit que tout élu local dispose tous les ans, à compter du 1er janvier 2016, d’un droit individuel à la formation de vingt heures cumulable, spécifique à sa fonction, lui ouvrant l’accès à diverses formations lui permettant, entre autres choses, de préparer son éventuelle reconversion professionnelle après l’exercice de son mandat.

À ce stade, une première question s’impose : avons-nous été voilà quelques mois jusqu’au bout de notre travail législatif ? En effet, l’article dont il est question n’est pas applicable, alors même que son dispositif aurait dû être mis en œuvre depuis maintenant un mois.

Il faut dire que l’article 15 prévoyait à l’origine qu’un décret en Conseil d’État déterminerait les modalités d’application du droit individuel à la formation, notamment les conditions de la collecte des cotisations. Or aucun décret n’a été publié dans ce domaine !

Il semblerait pourtant qu’un décret ait bien été pris en application de l’article 15, en tout cas si l’on se réfère à l’état d’application de la loi qui figure sur le site internet du Sénat. Malheureusement, en le lisant, on s’aperçoit que ce décret du 26 octobre 2015 traite non pas de la question du droit à la formation des élus, mais du crédit d’heures des titulaires de mandats municipaux et communautaires.

Aussi, nous nous posons une seconde question : est-ce pour pallier l’absence de publication du décret prévu initialement par la loi que nous examinons aujourd’hui cette proposition de loi ? Le Gouvernement a-t-il engagé la procédure accélérée pour que le présent texte soit rapidement promulgué et que la loi du 31 mars 2015 puisse enfin s’appliquer ?

Madame la ministre, vous connaissez notre désaccord de principe avec un tel raccourcissement de la procédure législative. Même sur un tel sujet, la procédure accélérée ne devrait pas s’imposer, d’autant moins que nous pouvons légitimement nous demander si nous aurons réellement achevé cette œuvre législative en adoptant le texte. Dans l’hypothèse où la proposition de loi était adoptée, il nous semble en effet qu’un décret sera malgré tout nécessaire pour déterminer, comme prévu, les modalités de mise en œuvre du droit individuel à la formation.

Nous avons certes toute confiance en la Caisse des dépôts et consignations qui, nous en sommes sûrs, saura sans conteste appliquer le dispositif. Cependant, en lui laissant toute latitude pour en assurer la gestion administrative, financière et technique, allons-nous réellement jusqu’au bout de nos responsabilités en tant que législateur ?

En outre, la procédure accélérée pose un autre problème, car le texte intègre un amendement du Gouvernement qui concerne un tout autre sujet.

En effet, le texte que nous examinons sert maintenant de véhicule législatif pour reporter une disposition de la loi NOTRe qui supprime toute indemnité de fonction aux présidents et vice-présidents des syndicats de communes et des syndicats mixtes. Cette disposition législative, que le Sénat a adoptée bien que mon groupe ait voté contre, montre bien la volonté du Gouvernement, soutenu en cela par la majorité de droite de notre assemblée, de réduire fortement le nombre de syndicats intercommunaux. Aussi, l’objectif que l’on cherchait à atteindre en supprimant les indemnités des élus qui dirigent ces syndicats était clairement de faciliter leur disparition.

D’ailleurs, c’est de nouveau le même objectif qui est visé avec cet amendement : à ce stade, il ne vise qu’à reporter de deux ans la mesure qui figurait dans la loi NOTRe, et qui est aujourd’hui largement contestée. Ce faisant, madame la ministre, vous espérez que le plus grand nombre possible de syndicats aura disparu d’ici là et que, de ce fait, la mesure de suppression des indemnités n’aura plus d’effet que sur un nombre limité d’élus.

Nous restons, quant à nous, hostiles à la mesure, tout comme à la disparition programmée de ces structures de coopération intercommunale établies sur le fondement de projets partagés, et ce d’autant plus, madame la ministre, que vous allez remplacer les syndicats par des intercommunalités devenues trop grandes, à notre avis, pour gérer les services locaux de proximité, conformément aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.

Comme beaucoup de nos collègues présents dans cet hémicycle, nous sommes donc favorables à l’adoption de dispositions qui permettent non pas de limiter à deux ans le rétablissement des indemnités, mais de prolonger le versement de celles-ci jusqu’aux élections municipales de 2020 !

Enfin, pour notre part, nous sommes toujours dubitatifs sur le prélèvement de 1 % opéré sur les indemnités des élus, afin de financer leur formation. En fait, 190 000 élus locaux vont financer ces actions en faveur de 550 000 élus, sans que les pouvoirs publics accompagnent, pour le moins, cet effort. Nous le regrettons.

Malgré ces nombreuses interrogations, ces réserves, voire ces regrets, le groupe CRC votera en faveur de ce texte, dont l’adoption, nous l’espérons, permettra enfin la mise en œuvre de ce droit à la formation des élus, auquel nous sommes attachés.

Pour autant, l’exigence d’un véritable statut de l’élu, porté avec force, souvenons-nous-en, lors des états généraux de la démocratie territoriale en 2012, reste évidemment pleinement d’actualité.

Retour en haut