Une sérieuse insuffisance en matière d’évaluation du renseignement

Une sérieuse insuffisance en matière d'évaluation du renseignement - Moyens consacrés au renseignement intérieur (Aloïs Moubax - https://www.pexels.com/fr-fr/@aloismoubax)

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’arrestation, samedi dernier, à Bruxelles, de l’un des organisateurs des attentats terroristes du mois de novembre 2015, comme les attentats suicides intervenus hier à l’aéroport et dans le métro de cette même ville, éclairent d’un jour nouveau le présent débat sur les moyens consacrés au renseignement intérieur, organisé à la demande de nos collègues du groupe Les Républicains. Bien évidemment, nous avons, nous aussi, une pensée pour les victimes de ces attentats et leur famille.

Ainsi, nous sommes pleinement dans l’actualité, et cette coïncidence avec ces événements cruciaux dans la lutte antiterroriste va nous permettre de débattre concrètement de questions qui sont, par définition, opaques et complexes.

L’arrestation du criminel Salah Abdeslam marquera sans doute un tournant décisif dans la lutte contre le terrorisme islamiste.

On peut tout d’abord espérer, si l’enquête policière et le processus judiciaire suivent normalement leur cours – ce que l’on peut supposer –, que ce criminel se révèlera, dans les semaines à venir, une précieuse source d’information.

Nos services de renseignement pourraient ainsi en apprendre davantage sur la chaîne de commandement des attentats de Paris et comprendre le mode de fonctionnement des groupes clandestins se réclamant du soi-disant « État islamique » sur le continent européen. Cela leur permettra sans doute d’adapter leurs pratiques pour les rendre plus efficaces.

Cette arrestation permettra peut-être également de comprendre les mécanismes dits de « radicalisation » à l’œuvre auprès de certains jeunes et de mettre en place une véritable politique de prévention du terrorisme qui aille au-delà du discours du 13 novembre. La réflexion sur la prévention n’a que trop souffert des discussions politiciennes sur l’état d’urgence et la déchéance de nationalité.

Cette arrestation rend surtout souhaitable le retour à une pleine application de l’État de droit. Je veux dire par là que la perspective de pouvoir juger, dans quelque temps, l’un des membres du commando terroriste qui ensanglanta Paris doit rendre au pouvoir judiciaire la place centrale que les différentes lois antiterroristes lui ont confisquée : le cours normal de la justice permettra assurément de comprendre comment ont fonctionné ces derniers mois les services de renseignement, mais aussi d’éclaircir de nombreux points pour les familles des victimes.

Monsieur le ministre, l’intérêt du débat de cet après-midi est donc de vous entendre sur des faits précis et sur les mesures immédiates prises ces jours-ci en Conseil de défense.

Mais l’intérêt est également d’exercer notre fonction de contrôle de l’action gouvernementale : il est donc légitime que puisse s’exercer, à travers le Parlement, ce contrôle démocratique de la politique publique du renseignement et de sa mise en œuvre par les services.

Je voudrais d’emblée rappeler qu’en matière de lutte antiterroriste notre groupe est animé par la seule volonté de trouver les moyens d’assurer le plus efficacement possible la protection de nos concitoyens contre les actes terroristes et de renforcer nos capacités de lutte contre ces menaces d’un type particulier.

Toutefois, dans le même temps, nous sommes très soucieux, comme d’autres, que la politique menée dans ce domaine permette d’atteindre un juste équilibre entre les exigences de la sécurité et le respect d’un certain nombre de libertés fondamentales, caractéristiques de nos valeurs républicaines.

Pour réfléchir à ces questions, nous disposons de deux rapports : d’une part, celui de notre collègue Philippe Dominati, plus précisément axé sur les moyens du renseignement intérieur et, d’autre part, le rapport annuel de la délégation parlementaire au renseignement, présidée par notre collègue Jean-Pierre Raffarin.

Tous deux font au Gouvernement des recommandations souvent pertinentes, auxquelles ce dernier devrait prêter une oreille attentive. Je ne me prononcerai pas sur le détail des nombreuses propositions de réorganisation administrative exposées dans le rapport très fouillé de M. Dominati, qui concernent plus précisément les services de renseignement intérieur.

Le rapport de la délégation parlementaire, quant à lui, a un champ plus vaste : il dresse un constat sur le fonctionnement des services en général et en souligne quelques carences, auxquelles la délégation propose de remédier. Surtout, il pointe une sérieuse insuffisance en matière d’évaluation du renseignement.

C’est la raison pour laquelle je partage pleinement l’exigence formulée de mettre en place un solide appareil d’évaluation de la politique publique du renseignement, sans lequel le débat sur l’efficacité de nos services aura toujours un caractère polémique.

La création d’un corps d’inspection, qui permettrait non seulement un contrôle effectif des moyens « intrusifs » dont disposent les services, mais aussi l’utilisation des fonds spéciaux, me semble nécessaire. Il s’agirait d’un utile garde-fou contre l’utilisation très large des techniques de collecte du renseignement accordée aux services dits du « deuxième cercle ».

Je souscris également à la recommandation de bon sens d’une mutualisation accrue des moyens entre les services, ainsi qu’à la nécessité de nouer des partenariats avec les services étrangers, notamment au sein de l’Union européenne, pour être plus efficace contre cette menace terroriste qui se joue des frontières.

Enfin, je note avec satisfaction la mise en garde – à juste titre – du rapport contre une tendance à la sous-estimation du renseignement humain par rapport à l’expertise technologique. Nous avions déjà souligné ce danger lors de la discussion de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, en précisant, par exemple, que l’efficacité de la collecte massive de données personnelles était tout à fait aléatoire, alors que la performance et l’efficacité tiennent plus aux capacités d’analyse et à une bonne articulation entre le renseignement humain et le renseignement technique.

Dans cette utile réflexion sur l’activité de nos services, notre préoccupation principale et notre désaccord avec la politique suivie par le Gouvernement en la matière portent sur le cadre légal fixé à leur intervention.

Les lois sur le renseignement déjà adoptées, ainsi que le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, en cours de discussion au Parlement, sont en effet critiquables sur de nombreux points touchant aux libertés individuelles.

La semaine prochaine, lors de la discussion de ce dernier projet de loi, nous veillerons à mettre en place un meilleur équilibre entre les exigences de sécurité et le respect des libertés individuelles fondamentales.

Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques-unes des réflexions dont le groupe communiste, républicain et citoyen souhaitait vous faire part à l’occasion de ce débat.

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