Nous dénonçons des dérives que personne ne peut nier

À entendre la plupart des interventions, y compris la vôtre, madame la secrétaire d’État, et à lire le rapport de notre collègue Alain Marc, la proposition de loi du groupe CRC déchaîne quelque peu les passions.

Nous serions laxistes, voire irresponsables ou, au mieux, utopistes !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Oui !

Mme Laurence Cohen. Dans un contexte d’état d’urgence et de menace terroriste, certains nous accusent d’entraver le travail des policiers, de les empêcher notamment d’effectuer des contrôles d’identité, ce qui nuirait à la sécurité de nos concitoyens, tandis que d’autres nous accusent de donner encore plus de travail aux policiers, d’alourdir, par des tâches administratives, leurs missions de contrôle. Arguments contradictoires, vous en conviendrez ! Dans les deux cas, notre proposition de loi serait une remise en cause du travail de la police.

Mais dans quelle démocratie vivons-nous, quand il est impossible de faire une proposition qui encadre les contrôles d’identité, sous peine d’être accusé de jeter le discrédit sur la police ? Comme l’a fort justement souligné Éliane Assassi, notre but n’est en rien de jeter le discrédit sur toute une profession ou d’attiser le feu, mais bel et bien de restaurer la confiance entre les policiers et la population, et ce, pour le bien de tous !

Nous l’avons déjà dit et nous le répétons, nous saluons le travail des forces de l’ordre, dont nous connaissons les conditions difficiles d’exercice. Ce que nous dénonçons, ce sont les dérives que personne ne peut nier.

Plusieurs chercheurs ainsi que des ONG ont objectivé le phénomène des contrôles au faciès. C’est une réalité sociale et impartiale, qui fait que, comme vous, mes chers collègues, je n’ai jamais été contrôlée.

M. François Bonhomme. Vous le regrettez ?

Mme Laurence Cohen. Ces contrôles sont ciblés sur un seul et même profil type : jeune, homme, perçu comme noir ou arabe. À ces critères, s’ajoutent l’apparence physique, le look vestimentaire appartenant à une culture urbaine, ce qui vous désigne automatiquement, dans l’imaginaire de certains, comme de potentiels coupables. D’ailleurs, c’est l’objet d’un amendement scandaleux, celui du sénateur Masson, qui n’en est plus à une provocation près ! Et en plus, il est absent…

Revenons au fond : imaginez le quotidien d’un jeune lycéen de dix-sept ans, vivant dans un quartier populaire des zones urbanisées, se faisant contrôler une fois en allant à son lycée et une seconde fois sur le chemin du retour, et ce quasiment tous les jours. Comment le vivriez-vous ? Comment ne pas se sentir humilié, stigmatisé ? Comment avoir une bonne image de la police et des institutions quand celles-ci vous suspectent systématiquement ? N’est-ce pas une conception amputée de la citoyenneté, une vision étriquée de la nationalité qui lui sont signifiées ?

C’est pour dénoncer tout cela que le mouvement Jeunes communistes, particulièrement celui du Val-de-Marne, a décidé de mener une grande campagne sur les contrôles au faciès. Ils se sont appuyés sur le travail mené depuis des années par des associations des droits de l’homme, des ONG, le syndicat des avocats de France, celui de la magistrature et des syndicalistes de la police pour lancer une pétition, afin de sensibiliser les citoyens et les élus. Notre proposition de loi vise à concrétiser, à prolonger leur travail d’investigation de terrain, en cherchant à modifier une loi profondément injuste et inégalitaire.

Nous avons pu vérifier l’urgence d’une telle proposition quand nous sommes allés, avec mon collègue Christian Favier, à la rencontre de jeunes du Val-de-Marne, dans des quartiers populaires. Tous décrivent la même situation de harcèlement. Leurs mères, leurs parents corroborent leurs propos, à savoir une dégradation manifeste des relations entre la police et la population – amplifiée par la suppression de la police de proximité décidée par Nicolas Sarkozy –, avec des comportements de certains policiers, manifestement très inappropriés, notamment envers des mineurs, rappelons-le.

Ces jeunes subissent des contrôles intempestifs, qui font partie intégrante de leur quotidien. Les palpations qui accompagnent parfois ces contrôles sont autant de vexations, d’humiliations, d’atteinte à leur intimité et leur intégrité.

Si dix-huit jeunes viennent de porter plainte contre une brigade du XIIe arrondissement, cela reste rare. La majorité constate avec impuissance l’impunité, quasi exclusive, qui règne du côté de ceux qui ont autorité sur eux.

Devons-nous rester inactifs face à cette situation ?

La France n’est pas le seul pays concerné. D’autres, comme l’Espagne, l’Angleterre ou bien encore les États-Unis, ont décidé d’agir et, contrairement à ce que vous dites, monsieur le rapporteur, ils ont fait preuve d’efficacité. Ils ont prouvé que moins de contrôles améliorent leur efficacité et leur pertinence sans pour autant que la délinquance n’augmente.

Ne pas laisser les choses en l’état, n’est-ce pas le défi que nous avons et que nous pouvons relever en tant que législateurs ? D’autant que des citoyens réagissent ! Treize personnes ont décidé de porter plainte contre l’État pour dénoncer les contrôles à répétition dont elles sont victimes. L’État a été condamné pour cinq d’entre elles. Même si l’État fait appel, cette condamnation est révélatrice des dérives reconnues, celles que nous dénonçons.

M. François Bonhomme. Ces condamnations ne sont donc pas définitives…

Mme Laurence Cohen. Ce ne sont donc pas uniquement les sénatrices et les sénateurs communistes et quelques associations qui soulèvent le problème, c’est bel et bien la justice de notre pays ! Comment continuer à fermer les yeux ?

La Commission nationale consultative des droits de l’homme et le Défenseur des droits, deux instances reconnues, ont, elles aussi, établi le caractère discriminatoire de ces contrôles.

D’autres parlementaires, de sensibilité différente de la nôtre, ont déposé des propositions de loi voisines.

Nous avons fait un long travail sur ce sujet, avec Nicole Borvo ou Éliane Assassi ici au Sénat et avec Marie-Georges Buffet à l’Assemblée nationale.

Le colloque que nous avons organisé au Sénat, le 29 avril dernier, nous a montré, par le témoignage de magistrats, combien la rédaction floue et le champ large de l’article 78-2 du code de procédure pénale rendait tout à fait possible ces contrôles discriminatoires.

Alors, il faut agir ! Nous ne demandons pas quelque chose d’extraordinaire. Nous demandons une expérimentation ! Pourquoi ne pas la tenter et faire un bilan ? Si ça marche, on poursuit et on élargit le dispositif. Sinon, on l’arrête ! Des villes, comme Ivry, Dijon ou Paris, sont volontaires. Alors, tentons l’expérience, madame la secrétaire d’État ! Un peu de courage politique !

Vous nous opposez les caméras-piétons, mais ça n’a pas la même finalité. Il ne faut pas opposer ces deux mesures, elles sont complémentaires. Il faut les prendre ensemble, le récépissé et les caméras !

Je vous exhorte à voter cette proposition de loi. Je sais que je prêche un peu dans le désert, mais le débat est ouvert. J’espère qu’il permet à chacune et à chacun de s’interroger dans le cadre de ses responsabilités individuelles et collectives.

Pour terminer, je reprendrai les propos d’une habitante de La Courneuve, mère de trois jeunes étudiants sans cesse contrôlés et qui participait au colloque dont je vous ai parlé. Elle nous a écrit un très beau poème, que malheureusement je ne peux pas vous lire. J’en extrais une phrase : « On est montré du doigt, mais pourquoi on est montré du doigt ? »

Mes chers collègues, entendons ce cri et votons cette proposition de loi, en parfaite osmose avec l’article 1er de la Constitution. Et que la belle devise « Liberté, Égalité, Fraternité » s’applique enfin et dans les faits à tous les enfants de notre République ! Ce sera un grand moment pour tout le monde.

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