La PAC n’est plus une politique agricole commune mais un système hyper-concurrentiel

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourvu que ce nouveau débat sur la PAC n’engendre pas une maigre moisson pour tous les exploitants en souffrance, qui attendent avant tout des actes !

Personne ne se souvient avoir connu, au cours des cinquante dernières années, une situation aussi dégradée économiquement, socialement et moralement dans nos campagnes. Pour le monde agricole, le symptôme est clair : une crise de confiance et un sentiment d’incompréhension. Le diagnostic est partagé : la résignation et la saturation devant l’absence de perspectives.

La PAC représente l’un des postes budgétaires les plus importants de l’Union européenne. Elle a jalonné l’histoire de l’intégration européenne et, aujourd’hui encore, elle dessine les lignes de fracture des débats entre acteurs européens. Cela s’explique en grande partie par l’hétérogénéité des représentations que se font les États membres du rôle de l’agriculture dans les économies contemporaines. Certains la considèrent comme un secteur en déclin et estiment la PAC obsolète et coûteuse, tandis que d’autres y voient une activité essentielle et estiment nécessaire une politique commune et forte dans ce domaine.

Le rôle primordial de l’agriculture ne doit pas être amoindri ou dévalorisé. Loin de se limiter à l’aménagement du paysage ou à la gestion de l’environnement, sa fonction première est de nourrir les peuples. Nous avons besoin d’une production agricole forte, et il est nécessaire de rappeler que l’agriculture n’est pas un secteur comme les autres, dans la mesure où il réclame une régulation pour produire de manière suffisante et continue et, surtout, pour assurer un revenu digne aux agriculteurs.

Voilà pourquoi la réforme et la consolidation de la PAC doivent constituer une priorité de l’Union européenne, en particulier dans la perspective inquiétante d’une hausse des prix agricoles à moyen terme et, surtout, dans un contexte de négociation du TAFTA et de libéralisation des échanges.

De six États membres à l’origine, nous sommes passés à vingt-huit. À l’égard de la PAC, les situations sont très hétérogènes et les distorsions de concurrence deviennent ainsi inévitables.

Prenons l’exemple du montant des aides à l’hectare du premier pilier. Les pays de l’Est, dont les pays baltes, sont les premiers à protester contre cette distorsion de concurrence. Nos voisins allemands n’ont recouplé aucune aide directe. Ainsi, un éleveur laitier ne reçoit pas la même aide directe, selon qu’il se trouve en Savoie ou en Bavière. Ces différences sont encore plus notables au sein du second pilier. Que d’inégalités !

Les orientations de la PAC ont aggravé la situation. De nombreux observateurs notent aujourd’hui une pression des concurrents dans les filières, et celle-ci est d’autant plus forte que la PAC joue de moins en moins son rôle de régulateur.

Pour résumer la situation, nous ne sommes pas vraiment dans une politique agricole commune, mais dans un système de production ultra-concurrentiel, avec une politique qui est très loin d’harmoniser et de maîtriser. À cet égard, l’exemple des travailleurs détachés est éclairant : c’est un dumping social institutionnalisé qui est aujourd’hui mis en place !

La tentation est grande pour la Commission européenne de rappeler dans ses objectifs de réforme la nécessaire redistribution des aides compensatrices pour mieux cadrer le démantèlement des outils de régulation. De prochaines crises sectorielles sont à prévoir et les chèques nationaux ne remplaceront jamais une vraie PAC juste, durable et efficace socialement pour les paysans.

Je souhaiterais également aborder la filière bio. Les soutiens pour la conversion à l’agriculture biologique ou son maintien sont passés en France en trois ans d’un pilier de la PAC à un autre. Cette instabilité a entraîné de nombreuses difficultés. Le retour de la mesure « conversion à la bio » dans le pilier développement rural a apporté un peu plus de cohérence, mais la pérennité est loin d’être assurée.

De plus, la distinction entre les mesures bio et les autres paiements environnementaux a été préconisée par la Cour des comptes européenne, de sorte que l’agriculture biologique s’exerce sur tout le territoire, sans zonage particulier. Cette démarche témoigne d’une volonté de ne pas cantonner l’agriculture biologique à un territoire ou à un marché, mais bien de la développer largement avec des moyens dédiés.

Compte tenu de ces grands principes, les deux principales déficiences de la politique agricole sont les suivantes : les aides actuelles DPU entraînent des surcoûts d’installation pour les nouveaux agriculteurs et ne donnent pas les bonnes incitations à la préservation de l’environnement dans les régions rurales. D’autres défaillances de marché subsistent, comme la volatilité des prix, dont l’importance a été largement sous-estimée lors des récentes réformes.

Le groupe CRC propose une nouvelle ambition, qui vise à construire la politique agricole et alimentaire européenne du XXIe siècle. Dès maintenant, la mise en place d’outils de régulation des marchés, des stocks européens de sécurité alimentaire et de mesures contre la spéculation est nécessaire. Nous portons une politique agricole au service d’une agriculture de qualité et reconnaissant le droit à une juste rémunération du travail, ce qui passe notamment par la répartition de la valeur ajoutée dans les filières.

Pour pouvoir récolter, il faut semer ! Aussi, alors que la campagne PAC 2015 n’est toujours pas close, nous proposons de remplacer les coûteux et complexes systèmes de paiement actuels par un système simplifié. Il est primordial de maintenir une intervention publique afin de garantir un prix « plancher » ou un « filet de sécurité » se limitant à des circonstances exceptionnelles. Il faudrait supprimer ou réduire les contradictions entre les programmes comme le soutien à l’agriculture intensive et les taxes sur la pollution, ou comme les paiements élevés aux cultures arables et les modestes aides agroenvironnementales. Il s’agit de mettre du bon sens dans l’ensemble de nos réglementations pour qu’elles cessent d’être contre-productives, tout en rendant concret, très rapidement, le contenu des différentes mesures d’accompagnement.

Dans notre secteur agricole, les prochaines années vont être décisives pour garder des exploitations et des agriculteurs. Maintenir et maîtriser les volumes de production, soutenir l’investissement, c’est soutenir l’agriculture, mais c’est aussi soutenir la richesse économique et sociale de notre pays ; c’est dynamiser tous nos territoires ! Notre agriculture a besoin de signes pour retrouver confiance en l’avenir, mais elle attend un revenu, une plus juste rémunération par le marché, ainsi que de la stabilité.

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