Ce texte manque cruellement d’ambition

Ce texte manque cruellement d'ambition - Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique ( Expect Best)

Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, la régulation de la publicité commerciale en direction des enfants et des adolescents recouvre un réel enjeu de santé publique, d’autant que la consommation télévisuelle de ces derniers ne cesse de croître et dépasse depuis près de quinze ans deux heures par jour. Les enfants et les adolescents, qui constituent un vivier potentiel de 8,3 millions de consommateurs directs, sont ainsi devenus le public cible par excellence des publicitaires. Des études convergentes montrent que plus de 70 % des parents pensent que leurs enfants sont influencés par les publicités dans leurs préférences alimentaires. Près du tiers indiquent que leurs enfants réclament le plus souvent des produits vus à la télévision, et 40 % estiment qu’il est devenu très difficile de résister à ces demandes, eu égard à la pression sociale.

La surexposition des enfants à la publicité a des conséquences non négligeables sur leur santé, notamment en matière d’obésité, en raison de la surreprésentation des produits sucrés et gras. Si l’insertion obligatoire de bandeaux en bas des annonces ou de messages de prévention est une bonne chose, son impact est, on le sait, très limité.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous approuvons la visée de cette proposition de loi. Toutefois, nous restons très dubitatifs quant à l’efficacité de son dispositif et aux conséquences de sa mise en œuvre. À notre sens, en effet, ce texte manque cruellement d’ambition, dans la mesure où il est prévu de limiter l’interdiction de la publicité dans les programmes jeunesse au seul service public audiovisuel.

La proposition de loi de notre ancien collègue écologiste Jacques Muller et d’Évelyne Didier, qui prévoyait de sanctuariser les programmes jeunesse en en excluant la publicité à la fois pour les chaînes publiques et les chaînes privées et en élargissant cette interdiction à d’autres créneaux horaires où les enfants regardent la télévision, avait davantage d’ambition. Elle tendait en outre à renforcer les sanctions et le contrôle en matière de promotion de produits et de publicité abusive, et préconisait une sensibilisation et une éducation à la publicité. Cette proposition de loi portait sur la réglementation de l’exposition des enfants à la publicité et ouvrait le chantier du financement de l’audiovisuel, dont les ressources proviennent pour partie de la publicité. Cette occasion de se pencher sur ces questions n’aura pas été mise à profit.

Nous estimons que, en l’état, la proposition de loi soumise à notre examen aujourd’hui est insuffisante et que la mise en œuvre de son dispositif aura même des effets négatifs.

Elle est insuffisante, car il serait illusoire de penser que les enfants et les adolescents ne regardent que des programmes jeunesse proposés par le service public. Madame la rapporteur, j’entends votre argument selon lequel la sanctuarisation des chaînes de télévision publiques leur apportera un avantage compétitif, mais les enfants ne regardent pas la télévision qu’en compagnie de leurs parents : la plupart d’entre eux, notamment les plus défavorisés, la regardent seuls.

Rappelons en outre que France Télévisions ne représente que 28 % de l’audience et diffuse 200 heures de programmes jeunesse, contre 640 heures pour la seule chaîne Gulli. Enfin, huit des dix programmes les plus regardés par les enfants de quatre à dix ans sont des émissions de téléréalité, qui ne constituent pas vraiment la spécialité du service public audiovisuel… Il en va de même pour les enfants âgés de onze à quatorze ans.

La mise en œuvre du dispositif de la proposition de loi risquerait par ailleurs d’avoir des effets négatifs, en creusant encore l’écart financier entre secteur public et secteur privé. France Télévisions a déjà perdu 746 millions d’euros entre 2009 et 2012, à la suite de la suppression de la publicité sur ses antennes après 20 heures.

Ajoutons que le contrat d’objectifs et de moyens et l’accord passé entre la direction de France Télévisions et les producteurs indépendants ont montré l’ambition du groupe de renforcer sa part de production. Cela implique des moyens supplémentaires, que la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques et la contribution à l’audiovisuel public ne pourront pas forcément assurer. Réduire encore la voilure en termes de recettes publicitaires ne pourrait au final que conduire à une remise en cause dudit accord, et ce n’est pas la sécurité financière prévue au travers des articles 3 et 4 de la proposition de loi qui aurait à coup sûr suffi à compenser le manque. Mais, de toute façon, cette compensation a été supprimée au cours de la navette parlementaire.

Davantage que la perte de moyens, c’est le déséquilibre aggravé entre secteur public et secteur privé qui nous inquiète. Ce dernier récupérera de facto la manne dont on prive le secteur public, alors que l’investissement des publicitaires en direction des enfants se concentre déjà sur le secteur privé.

Faire ainsi deux poids, deux mesures ne nous paraît pas complètement satisfaisant, d’où le dépôt de notre amendement à l’article 1er. La protection du jeune public doit concerner de façon identique les chaînes du service public et celles du secteur privé. Nous pouvons comprendre qu’une telle mesure générale soit plus difficile à mettre en œuvre, mais la politique des petits pas peut mener au gouffre…

Nous reconnaissons, monsieur Leleux, que le service public doit être soumis à de plus grandes exigences en matière de vertu. C’est d’ailleurs ce qui justifie son financement public. Néanmoins, s’agissant de la santé de nos enfants, pourquoi rester au milieu du gué ? Selon nous, il n’y a pas d’obstacle rédhibitoire à la généralisation de la mesure proposée : nous avons bien réussi à supprimer la publicité en faveur de l’alcool et du tabac dans les médias.

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