Modifier la loi de 1881 au détour de cette proposition de loi est une erreur

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voilà de nouveau invités à examiner ce « serpent de mer » que représente la réforme de la prescription pénale, votée à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale. Nous nous étions donné le temps de la réflexion au Sénat l’année dernière en adoptant, comme cela a été rappelé, une motion de renvoi en commission, avant un examen en séance en octobre dernier.

Au début du mois de janvier dernier, estimant que cette réforme était « urgente », les députés n’ont finalement pas souhaité adopter une version du texte conforme à celle de la Haute Assemblée. En effet, ce point a été rappelé et fera l’objet de nos échanges, les députés n’ont pas accepté la proposition du Sénat visant à allonger le délai de prescription des délits de presse, tels qu’ils sont définis par la loi du 29 juillet 1881, de trois mois à un an pour les publications numériques.

Tout en réaffirmant l’urgence d’une adoption de ce texte avant l’arrêt des travaux parlementaires à la fin du mois de février, les députés se sont opposés, au nom de la défense de la liberté de la presse, à l’extension du délai de prescription du délit de presse. Le président de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse, M. Jean-Yves Dupeux, a alors affirmé ce n’était « ni fait ni à faire » !

L’ensemble des syndicats de la presse, comme le Syndicat national des journalistes et le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne, se montre d’ailleurs opposé à cette disposition, craignant « une discrimination injustifiée entre presse imprimée et numérique ».

Au-delà de ces réactions, et afin de préserver l’équilibre fragile trouvé au travers de la loi de 1881, nous devons nous interroger et avoir un véritable débat. Nous ne pouvons pas nous contenter de la seule discussion d’un article, au détour d’un texte relatif à l’allongement du délai de prescription en matière pénale. Il est essentiel de mener une véritable réflexion, pour légiférer sur l’évolution des usages du numérique, que le plus grand nombre de nos concitoyens ne maîtrisent pas. On le voit bien dans l’actualité récente, cette bulle numérique, qu’il s’agisse de l’évolution des pratiques de diffusion de l’information, de l’accès à cette information ou des processus de vérification de l’information, pose des questions essentielles.

Nous avons tous en tête des exemples d’informations apparaissant soudainement sur différents réseaux numériques, qui semblent être d’actualité, alors qu’elles sont parfois périmées depuis un an ou deux. Elles donnent pourtant lieu à des commentaires comme si les faits s’étaient déroulés quelques jours auparavant !

Mon groupe l’a souligné en première lecture, il nous paraît prématuré, voire maladroit, je le dis sans jugement de valeur, de vouloir, au détour de cette proposition de loi, modifier la loi de 1881 et remettre en cause l’équilibre que celle-ci permettait. Nous aurions tout intérêt à mener une réflexion plus large. Plutôt que de prendre une décision lourde de sens visant à multiplier par quatre le délai de prescription initial en matière de presse écrite, mieux vaudrait aborder, notamment, la question de la sécurisation de la profession des journalistes qui, aujourd’hui, publient et travaillent de plus en plus, voire pour un certain nombre de médias quasi exclusivement, avec l’outil numérique.

À l’inverse des membres du groupe socialiste et républicain, nous sommes opposés aux autres mesures du texte adoptées conformes, notamment au doublement des délais de prescription. Nous avions déjà longuement expliqué nos raisons ; je n’y reviendrai donc pas.

En l’état, le groupe CRC s’abstiendra sur l’article du texte restant en débat et votera contre l’ensemble des mesures de cette proposition de loi relative à l’augmentation du délai de prescription pénale.

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