Nous refusons de faire la loi sous le seul angle de l’émotion

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale. Nous voici donc appelés à nous exprimer, en nouvelle lecture, sur cette proposition de loi, qui constitue une réforme importante pour notre droit pénal.

Je le rappelle à mon tour : ce texte repose essentiellement sur son article 1er, qui modifie les dispositions relatives à la prescription de l’action publique, en particulier les articles 7 à 9 du code de procédure pénale, en doublant les délais applicables en matière criminelle et délictuelle.

Cette proposition de loi est conforme à la logique dominante de ces derniers temps, durcir toujours davantage la justice pénale. Cette logique est pourtant désapprouvée par de nombreux professionnels du droit.

L’article 1er de cette proposition de loi modifie les dispositions relatives à la prescription de l’action publique en doublant les délais applicables en matière criminelle et délictuelle.

La commission des lois du Sénat a défendu cette solution en arguant que certaines contraventions sont d’anciens délits requalifiés. Nous l’avons déjà dit lors de la première lecture : il nous paraîtrait plus efficace de revoir l’échelle des peines plutôt que de prolonger les délais de prescription de toutes les contraventions.

De plus, ce choix néglige le problème du dépérissement des preuves, ainsi que le droit à l’oubli et le pardon social, qui justifient de laisser au temps le soin de calmer un litige et de favoriser l’apaisement.

Les cas les plus graves, comme les faits délictuels ou criminels que la victime tarde à dénoncer, relèvent dans la majorité des cas de règles de prescription spécifiques et dérogatoires.

L’idée de laisser, pour de tels faits, autant de temps que possible à la personne victime, est invoquée pour justifier la logique du texte. Mais, nous l’avons déjà dit, nous refusons de faire la loi sous le seul angle émotionnel. (M. le garde des sceaux manifeste sa circonspection.)

Il est nécessaire de se soucier des problèmes psychologiques subis, notamment, par les victimes de violences physiques et sexuelles. Cependant, nous adhérons au raisonnement suivi par le Syndicat de la magistrature : avant tout, il faut s’intéresser à la prévention, ainsi qu’à l’accessibilité au dépôt de plainte pour les intéressés, à donner la priorité à ce type d’enquêtes.

En outre, il est essentiel de s’intéresser aux faits sociaux liés ce phénomène : respecter la victime sans la faire passer pour responsable de ce qu’elle a subi ; lutter contre la banalisation ; faciliter le recueil du témoignage, etc.

Allonger la prescription revient à fuir le problème de la prescription, lequel découle du manque de moyens dont souffrent les services de la police et de la justice. À l’évidence, il est nécessaire de réfléchir sur le sens de la peine, donc sur la pénalisation d’un certain nombre d’actes.

À nos yeux, cette réforme met en péril le droit au procès équitable. Au-delà d’un certain laps de temps, la prescription se veut garante du procès, car le dépérissement des preuves et de la capacité à s’y opposer demeure une réalité.

Le droit à être jugé dans un délai raisonnable impose des délais de prescription mesurés. La peine doit non seulement punir, mais permettre la réinsertion de l’individu. Elle doit donc rester individualisée.

Néanmoins, comme nous l’avons dit dès le stade de la première lecture, nous estimons que ce texte contient deux avancées. Premièrement, il assure davantage de sécurité juridique en précisant les conditions d’interruption du délai de prescription et en fixant les conditions de sa suspension. Deuxièmement, il étend l’imprescriptibilité totale – jusqu’alors réservée aux crimes contre l’humanité – aux crimes de guerre.

M. le président de la commission l’a rappelé de manière détaillée : le processus d’adoption de cette proposition de loi a été freiné par la disposition allongeant le délai de prescription des délits de presse de trois mois à un an pour les publications numériques.

Comme je l’ai indiqué voilà à peine quinze jours, les députés se sont opposés à cette disposition en séance publique, puis au sein de la commission mixte paritaire, au nom de la défense de la liberté de la presse. Ce geste a été salué par l’association des avocats praticiens de droit de la presse. L’ensemble des syndicats de la presse ont même manifesté leur hostilité à cette mesure. Ils craignaient « une discrimination injustifiée entre presses imprimée et numérique ».

Je le dis et je le répète : au-delà de cette disposition spécifique, le sujet soulève de nombreuses difficultés et se révèle beaucoup moins simple à résoudre qu’il n’y paraît.

En tout état de cause, la prescription des infractions de presse est une question bien particulière. Elle doit être traitée en tant que telle. La loi de 1881 devra certainement être modifiée. Sans préjuger en rien les majorités à venir, la législature qui s’annonce présentera, j’en suis sûre, l’occasion de réfléchir à ce sujet de manière globale, en incluant la question du support et la nécessité éventuelle de distinguer la presse écrite et la presse numérique selon leurs usages, donc quant aux droits et devoirs des journalistes.

Toutefois, pour l’heure, il nous paraît quelque peu cavalier de traiter la question au détour d’un article du présent texte. Comme il y a quinze jours, nous nous abstiendrons sur cette mesure très précise, que la commission a rétablie ce matin même et que, par voie d’amendement, notre collègue Esther Benbassa propose de supprimer.

Enfin, pour en revenir au texte qui nous occupe dans son ensemble – le dernier point évoqué n’en est qu’une partie mineure –, d’autres moyens que l’allongement de la prescription existent pour améliorer l’aide aux victimes. Je les ai déjà évoqués. Cette proposition de loi aurait dû s’y intéresser plutôt que de s’engouffrer dans une politique pénale toujours plus répressive. C’est la raison principale qui nous conduit à nous opposer une nouvelle fois à ce texte.

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