Les banlieues, entre ségrégation et formidable énergie

Entretien paru dans Initiatives.

Vous êtes élu en banlieue parisienne. Quel regard portez-vous sur les quartiers populaires et leurs habitants ?

Christian Favier. D’abord, je tiens à dire que je ne partage pas cette vision qui oppose deux France : une France paisible qui réussit, et une France en recul, celle des banlieues. La banlieue est très loin d’être uniforme et recouvre des réalités urbaines, sociales, économiques totalement différentes. Elle n’est pas dans un vase clos, isolée du reste du pays : pour exemple, nombre de Val-de-Marnais vont travailler à Paris tous les jours et vice-versa. Mon constat sur la banlieue et ses habitants est double. La première réalité, c’est que depuis trente ans, les politiques néolibérales de dérégulations sociales et économiques ont eu pour conséquence les fractures qui minent aujourd’hui notre société. La banlieue a subi ces fractures de plein fouet quand des choix catastrophiques ont conduit à la désindustrialisation, et donc à l’augmentation du chômage, à la baisse du pouvoir d’achat et à de nombreuses difficultés de vie pour chacun d’entre nous. Ces politiques ont aussi conduit à un urbanisme égoïste, au service d’une minorité, où sont effectivement apparus un centre protégé et des périphéries. Ces dernières comptant moins de services publics, moins d’écoles, moins de policiers, parce que l’État ne joue pas suffisamment son rôle dans la répartition des moyens en fonction des besoins réels. Mon second constat, c’est que face à ce recul, il y a dans mon département dit « de banlieue », des gens qui ont envie de réussir et qui apportent un dynamisme sans précédent à la société. Rien que dans ma ville, à Champigny-sur-Marne, nous avons des jeunes qui sont médaillés aux derniers Jeux olympiques et d’autres qui produisent leur pièce de Théâtre à Broadway. Si un département comme le nôtre est un candidat aussi sérieux à l’organisation de l’exposition universelle, mais aussi un des atouts de la candidature de Paris aux Jeux olympiques 2024, c’est bien que des énergies formidables font vivre la banlieue.

Comment expliquez-vous les tensions, parfois violentes, qui agitent régulièrement ces quartiers ?

Christian Favier. Parce que la société de classe et de ségrégation dans laquelle nous vivons empêche des réussites individuelles et collectives. Quand un jeune de Choisy-le-Roi veut étudier le droit à la Sorbonne et que régulièrement en raison de sa couleur de peau, il est contrôlé plusieurs fois par la police avant de prendre le RER, c’est révoltant et démotivant pour lui. Quand une mère de famille qui habite Valenton doit faire trois heures de transport par jour parce que l’immense majorité des emplois de bureau sont concentrés loin de chez elle, à Paris, ou dans les Hauts-de-Seine, c’est particulièrement usant. Des situations similaires, j’en vois tous les jours. Indéniablement, il y a un sentiment d’abandon. Il est vrai que cette colère peut parfois déboucher sur des tensions. Mais ces tensions sont très loin d’être l’apanage de la banlieue, elles gagnent toute notre société qui est une société d’inégalités. Il faut donc cesser cette corrélation faite entre banlieues et violence parce qu’elle relève de présupposés mensongers. En termes d’insécurité, je tiens à signaler que le taux de violences à la personne ou aux biens est deux fois supérieur dans la capitale que dans le Val-de-Marne.

Faut-il voir dans l’affaire Théo un fait isolé ?

Christian Favier. Nicolas Sarkozy a mis fin à la police de proximité et a supprimé 13 000 postes. Malheureusement, François Hollande n’est pas revenu sur ces mesures. Cela a d’abord des conséquences concrètes chez les policiers dont le métier est de plus en plus difficile. Quand je discute avec eux, ils me témoignent des difficultés qu’ils rencontrent dans des territoires face à des situations auxquelles ils ne sont pas formés. Il faut donc d’abord saluer le travail de la plupart d’entre eux qui, partout à travers le pays, sont au service quotidien des citoyens et agissent pour faire vivre les valeurs de la République. Ceci dit, il est clair que cette exaspération amène certains policiers à commettre des actes graves, qui n’ont rien à voir avec la déontologie de leur métier. C’est tout cela qui peut conduire parfois à des abus gravissimes, et je pense notamment à ce qu’a subi Théo.

Est-il possible, selon vous, de renouer les liens entre la police et la jeunesse ?

Christian Favier. Avec ma collègue Laurence Cohen, nous avions fait venir au Sénat l’année dernière des jeunes de notre département. Certains habitants d’Ivry-sur-Seine affirmaient être contrôlés plusieurs fois par jour ! Notre groupe a déposé une proposition de loi mettant en place un récépissé contre les contrôles aux faciès, moyen d’éviter les abus. La droite et le gouvernement ont choisi de rejeter cette proposition. Je m’interroge en conséquence : avec le récépissé du contrôle aux faciès, Théo aurait-il subi ce qu’il a vécu ? Je pense que non. Le rejet de notre loi est d’autant plus regrettable. Au-delà, la première manière de renouer les liens entre la police et les habitants, c’est d’affirmer que dans nos villes, nous avons aussi le droit à la sécurité et à la tranquillité. Comment les citoyens peuvent-ils accepter une situation qui fait que l’on compte 1 policier pour 115 habitants dans le 8e arrondissement contre 1 pour 700 dans certaines villes du Val-de-Marne ? Je me suis battu pendant des mois aux côtés des élus locaux à ce sujet, et nous avons obtenu 14 policiers supplémentaires à Champigny-sur-Marne, zone de sécurité prioritaire, mais beaucoup de villes restent en difficulté.

Pensez-vous que la réaction du gouvernement soit satisfaisante ?

Christian Favier. Non, car elle ne répond pas à la situation. Voilà ce qu’aurait dû faire le gouvernement, et j’en fais mes quatre priorités pour la sécurité et la justice dans nos territoires : la création d’une nouvelle police de proximité, avec des agents plus proches des citoyens, plus à leur écoute ; l’embauche de policiers supplémentaires pour faciliter leur travail et mieux accompagner les citoyens dans leur quotidien ; des formations annuelles pour les policiers, afin de mieux les accompagner dans leur métier ; la mise en place d’un récépissé contre le contrôle au faciès pour en finir avec les discriminations et les abus.

Retour en haut