Ni la Cour des Comptes ni les chambres régionales ne doivent outrepasser leurs fonctions

Ni la Cour des Comptes ni les chambres régionales ne doivent outrepasser leurs fonctions - Partie législative du code des juridictions financières (Pixabay)

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, devant la profusion du recours à la procédure des ordonnances durant le quinquennat précédent, l’article 38 ayant été sollicité pour promulguer plus de 500 textes durant la législature, nous allons, avec l’examen de cette ordonnance relative au code des juridictions financières, entamer un exercice de ratification de longue haleine puisque l’actualité législative est emplie d’une bonne quarantaine de projets de loi de même nature.
Le texte de l’ordonnance en lui-même ne constitue pas vraiment un objet de controverse.

L’adoption du projet de loi de ratification par l’Assemblée nationale s’est avérée d’une grande facilité et simplicité, et il a fallu le travail scrupuleux de notre commission des lois pour que, sans rien modifier à la philosophie générale du texte, le projet de loi compte enfin plus d’un article.

Les ajouts qui ont été apportés au texte initial nous rappellent d’ailleurs qu’en dernière instance c’est le législateur qui peut reprendre la main et apporter les derniers éléments nécessaires à la qualité de la loi.

Nous pouvons aussi exercer notre droit de rejeter l’habilitation ou de modifier les règles législatives que l’ordonnance a rendues applicables entre sa promulgation et sa ratification.

Cela étant posé, nous ne voterons pas ce projet de loi, pas plus que nous ne l’avions fait lors de son examen au terme de la commission mixte paritaire, ainsi que l’avait indiqué mon collègue Christian Favier.

Je vous propose néanmoins de dépasser quelque peu le cadre de ce projet de loi pour nous interroger sur le rôle même des juridictions financières, élément parmi d’autres du paysage institutionnel de notre pays. Et ce d’autant que la Cour des comptes, en charge de l’examen des comptes publics et de la certification de ceux de l’État, entre autres fonctions, vient de se manifester par la production d’un audit dans son rapport intitulé Le budget de l’État en 2016 dont le moins que l’on puisse dire est qu’il a déjà fait couler beaucoup d’encre.

Dans un premier temps, la Cour souligne que malgré la fixation d’un déficit budgétaire relativement contenu à 69,1 milliards d’euros, la trajectoire de réduction des déficits que la France semble avoir suivie ne correspond ni aux attentes de la Commission européenne ni aux engagements que nous avions pris.

En foi de quoi la Cour des comptes propose-t-elle un certain nombre de recommandations allant du gel du point d’indice des traitements et du non-remplacement des départs en retraite à la maîtrise des emplois occupés par les titulaires et contractuels au sein des opérateurs de l’État, en passant par un énième coup de rabot sur les dotations aux collectivités locales ou les taxes affectées au fonctionnement et à l’action de certains organismes publics et parapublics.
Je dois dire qu’une telle orientation me surprend d’autant plus que la Cour, dans le même document, souligne la faible progression des recettes fiscales sur la dernière période.

Ainsi trouve-t-on, page 25, l’intertitre suivant : « Des recettes à un niveau proche de la LFI malgré des recettes fiscales sensiblement inférieures ».
De même, page suivante, le rapport d’audit souligne le caractère limité de la progression des recettes fiscales, pointant notamment la chute de près de 3 milliards d’euros du produit de l’impôt sur les sociétés.

Une chute largement imputable à la suppression de la contribution exceptionnelle en principe acquittée par les plus grandes entreprises, dispositif supprimé alors même que sa raison d’être, participer au redressement des comptes publics, ne me semble nullement avoir disparu.

Le rapport d’audit met en exergue le déficit primaire du budget de l’État, à savoir une somme de 27,6 milliards d’euros, représentant la différence entre le service de la dette, c’est-à-dire les intérêts versés, et le déficit budgétaire constaté in fine.
Comment ne pas rapprocher cette somme des 24,5 milliards d’euros que le même budget aura consacrés en 2016 pour financer le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et le pacte de responsabilité et de solidarité passé entre l’État et les entreprises ?

Ajoutons-y un crédit d’impôt recherche distribué sans contrôle ni examen, et voilà réunies quelques-unes des conditions qui nous amènent au piteux résultat annoncé.
Certes, la Cour souligne aussi, au fil du rapport, la nécessité de procéder à l’évaluation critique des dépenses fiscales tous les trois ans. On peut d’ailleurs se demander pourquoi ce n’est pas le cas ni pour le coûteux CICE ni pour recentrer ou interroger la pertinence des « niches fiscales » qui minent depuis le quinquennat de M. Sarkozy le produit de l’imposition des patrimoines.

Signe des temps : la bonne tenue des rentrées de l’impôt de solidarité sur la fortune et le produit élevé des droits de mutation montrent la vigueur de la progression des patrimoines les plus importants, dont la base d’imposition au titre de l’ISF dépasse désormais allègrement les 1 000 milliards d’euros.

Nous nous devions d’envoyer ce message à tous les contempteurs de la dépense publique et à ceux qui prétendent que les « rapports de classe » sont une vieille lune idéologique. De la même manière, nous sommes attentifs à la mobilisation des fonds publics dans l’action quotidienne de l’État, qui peut effectivement être améliorée.
Que voulez-vous ? Quand nous devons assurer un minimum de revenus et parfois d’activité à ceux qui sont placés hors jeu du monde du travail, force est de s’interroger plus encore sur les dépenses destinées au CICE ou aux allégements de cotisations sociales au niveau du SMIC.

De notre point de vue, ni la Cour ni les chambres régionales et territoriales des comptes ne doivent outrepasser leurs fonctions, essentielles, de contrôle de l’allocation des ressources publiques.

Elles n’ont pas à s’immiscer dans le débat politique sur les choix fondamentaux menés au niveau du pays ou d’une collectivité territoriale, choix qui doivent rester de la pleine compétence de celles et de ceux qui ont reçu pour cela l’onction du suffrage universel et se doivent de respecter les règles de bonne gestion fixées par la loi. Il nous semble qu’il importait de le rappeler.

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