Une distorsion permanente entre les mots et les actes

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le 14 novembre dernier, la chaîne américaine CNN révélait au monde ce que nombre d’acteurs de la solidarité internationale dénonçaient déjà : la vente d’exilés noirs sur des marchés aux esclaves en Libye.

Ce trafic, qualifié par le président Macron lui-même de crime contre l’humanité, devrait nous ouvrir les yeux sur le sort de ceux qui sont jetés sur les routes ou à la mer par la misère, la guerre ou l’oppression. Il devrait nous ouvrir les yeux, dis-je, et nous inciter à une certaine pudeur.

Tous n’en semblent pas capables, hélas ! Je cite M. le rapporteur spécial : « L’allocation pour demandeur d’asile, l’ADA, est de 360 euros pour une personne seule non hébergée. Sans aller chercher au bout du monde, le salaire minimal en Roumanie est de 320 euros… Nous attirons l’immigration clandestine. » Pouvons-nous un instant décemment imaginer que des gens acceptent d’être réduits en esclavage, prennent le risque de se noyer dans la Méditerranée, de mourir en traversant nos montagnes, pour ces fameux 360 euros ?

Cette mission est de fait biaisée d’avance. Mettre ensemble « immigration, asile et intégration » est un tour de passe-passe politique visant à mêler, dans l’esprit de nos concitoyens, trois problèmes différents, et permettant à certains d’évoquer à tout propos et hors de propos, comme le fait le rapporteur spécial, M. Meurant, la « menace » qui pèserait sur notre « cohésion sociale ». Habile, n’est-ce pas ?

En 2016, notre pays a enregistré 1,17 demande d’asile pour 1 000 habitants, contre un taux moyen de 2,36 dans l’Union européenne, de 1,99 en Italie, de 4,61 en Grèce et de 8,83 en Allemagne. Avec 1,17 demande pour 1 000 habitants, comment pourrions-nous dire que nous n’avons pas les moyens d’accueillir ces réfugiés décemment ?

La hausse prévue par le budget dont nous débattons aujourd’hui ne saurait suffire à garantir ni un accès effectif à leurs droits pour les demandeurs d’asile ni des conditions dignes de subsistance.

Ce budget est finalement une illustration parfaite de ce qui caractérise le nouvel exécutif : une distorsion permanente entre les mots et les actes.

Le Président s’offusque, s’indigne et assure que tout le monde sera logé dignement d’ici à la fin de l’année. Dans le même temps, les préfets prennent des décisions illégales, les forces de l’ordre attentent chaque jour dans le Calaisis, dans la Roya, à Briançon, à la sécurité et à la santé des exilés, sans compter que M. Collomb envoie une circulaire aux préfets pour augmenter la répression à l’endroit des réfugiés. C’est une contradiction supplémentaire de ceux qui nous gouvernent !

Dans le même temps, des mineurs ne sont pas protégés, ils dorment dans la rue, certains étant même renvoyés depuis Menton vers l’Italie sans autre forme de procès. Dans le même temps, les militants associatifs, les bénévoles et les simples citoyens font l’objet de poursuites et d’intimidations de plus en plus nombreuses quand ils font simplement preuve d’humanité et de solidarité.

Nous ne voterons pas ces crédits, mes chers collègues, car ils sont à nos yeux tout à fait insuffisants pour relever le défi de l’accueil des réfugiés, tandis que la majorité sénatoriale, elle, votera contre aussi, mais parce que le budget des reconduites à la frontière est en baisse : un même vote, donc, traduisant en l’occurrence deux visions radicalement opposées de notre société et des devoirs de solidarité humaine qui s’imposent à elle, hors de tout prétendu irénisme.

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