Le budget de la justice est présenté comme prioritaire, mais il n’échappe pas aux logiques d’austérité

Le budget de la justice est présenté comme prioritaire, mais il n'échappe pas aux logiques d'austérité - Projet de loi de finances pour 2018 : justice

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ce projet de loi de finances pour 2018, le budget alloué à la justice augmentera de 2,9 %. Si cette hausse est supérieure à l’augmentation moyenne de 2,6 % constatée depuis 2012, elle est en revanche inférieure à celle de l’année dernière, laquelle, certes, devait être imputée aux moyens exceptionnels consacrés aux plans de lutte contre le terrorisme.

Mais tout de même, comme le révèle l’Union syndicale des magistrats, nous pouvons regretter un « ralentissement de la croissance », signe d’un « manque d’ambition pour la future loi de programmation » promise par le Président Macron et le Premier ministre.

Par ailleurs, sur le fond, si nous partageons, pour la justice, l’objectif de redressement budgétaire, nous sommes au regret de constater que l’augmentation des crédits proposée s’inscrit dans la même orientation que celle de ces dernières années : l’impact de la progression des crédits est largement réduit pour les services judiciaires, puisque le programme « Administration pénitentiaire » absorbe en grande partie cette progression.

Dès lors, une fois encore, je vous pose la question, monsieur le secrétaire d’État : augmenter les moyens de la justice, oui, mais pour quoi faire ?

En outre, l’augmentation porte sur un budget si appauvri que le « retard structurel » de la justice n’est pas rattrapé. Les comparaisons européennes donnent la véritable mesure de la paupérisation de la justice française. Et pour cause, la France pointe à la quatorzième place sur vingt-huit, avec 72 euros par habitant et par an consacrés à la justice.

Les effectifs constituent un autre point faible du système judiciaire français. Concernant le nombre de juges, en 2014, la France est vingt-quatrième sur vingt-huit, avec dix juges professionnels pour 100 000 habitants.

Parallèlement, les procédures, en France, sont très longues : en première instance, un Français devra attendre en moyenne 304 jours pour voir son cas jugé, contre 19 jours au Danemark !

La situation est donc critique sur le plan judiciaire ; elle l’est tout autant s’agissant de l’administration pénitentiaire.

Vingt-sept associations et syndicats d’avocats, de magistrats, de personnels de l’administration pénitentiaire ont interpellé l’ensemble des parlementaires sur le présent projet de budget – c’était le 25 octobre dernier, il n’y a donc pas si longtemps. Ils dénoncent une augmentation constante du parc carcéral au détriment de la logique de réinsertion et des alternatives à l’emprisonnement, toujours négligées. Nous partageons ce constat et souhaitons nous aussi mettre un terme à l’inflation carcérale, en privilégiant la décroissance pénale déjà engagée dans nombre d’autres pays européens.

Rappelons que si près de 30 000 places de prison ont été construites ces 25 dernières années, entraînant une hausse de 60 % du parc pénitentiaire, les conditions de détention n’ont cessé de se détériorer.

Nous pensons donc qu’il serait plus opportun de rénover massivement certaines prisons, de remplacer les établissements vétustes voire, pour certains, dans un état d’insalubrité maximale, comme à Fresnes, et, parallèlement, de favoriser le milieu ouvert et les alternatives à l’emprisonnement.

Les services de la protection judiciaire de la jeunesse, pour leur part, voient leurs crédits progresser de 3,4 % par rapport à l’année dernière, et leurs effectifs renforcés par 40 nouveaux emplois d’éducateurs.

Au regard de la situation de fragilité dans laquelle se trouve la protection judiciaire de la jeunesse, notamment par l’application indiscriminée de la révision générale des politiques publiques entre 2007 et 2012, le budget pour 2018 n’est pas satisfaisant.

Dans son programme, Emmanuel Macron avait pourtant affirmé : « La justice des mineurs est une de nos grandes priorités, car c’est là que se joue l’avenir des enfants en difficulté. »

Aussi peut-on s’étonner que la justice des mineurs ne bénéficie pas d’une forte augmentation de crédits et ne fasse pas l’objet de l’un des grands chantiers de la justice annoncés.

S’agissant de l’aide juridictionnelle, le budget doit augmenter de 8,7 % – encore une fois, c’est moins que l’année précédente – en attendant le lancement de plusieurs missions destinées à trouver une solution de financement pérenne.

Le budget alloué à ce programme est largement insuffisant ; c’est pourquoi nous vous proposons, mes chers collègues, par voie d’amendement, de l’abonder. Il s’agit là du seul outil permettant d’assurer une assistance aux justiciables les plus démunis.

À cet égard, nous souhaitons souligner que l’augmentation des ressources attribuées à cette politique publique ne doit pas conduire à éluder la question fondamentale de la rétribution des professionnels du droit intervenant dans l’aide juridictionnelle.

En effet, les avocats qui prennent en charge ces dossiers ne sont pas rémunérés, mais « indemnisés » via la perception d’une rétribution dérisoire à la toute fin de la procédure. Ces avocats assument seuls, sur leur activité économique, le poids d’une mission de service public dont la rétribution est bien souvent inférieure au coût.

Si le budget de la justice est donc présenté, cette année encore, comme prioritaire, il n’échappe pas aux logiques d’austérité.

Or les moyens affectés et les orientations définies ne permettront pas de restaurer la crédibilité et l’efficacité de la justice ; c’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs de mon groupe voteront contre les crédits de cette mission.

Selon nous, mes chers collègues, il y a urgence à prôner et à ériger une justice plus sociale et humaine. Nous formons le vœu, de nouveau, que les chantiers lancés par Mme la garde des sceaux, qui sont en cours, aboutissent à un texte en faveur de cette logique.

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