Avec votre projet, les universités ne sont plus les instruments d’une politique nationale, mais des entreprises qui proposent des services

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après les lois Pécresse de 2007 et Fioraso de 2013, le projet de loi que l’on nous propose d’adopter définitivement ce soir constitue une étape décisive vers une autonomie toujours plus grande des universités, compte tenu de la possibilité qui leur serait désormais donnée de sélectionner leurs étudiants.
Madame la ministre, votre gouvernement, par la voix des députés de la République En Marche, a finalement abandonné toute précaution de langage et facilement trouvé en commission mixte paritaire mardi dernier un accord global. Celui-ci marque la victoire de la position défendue par le rapporteur du Sénat, qui affirme, sans tabou, que la sélection est bénéfique et qu’elle constitue une chance pour tous.

Ce texte, que vous nous avez présenté comme technique et qui s’imposerait du fait de la nécessité de ne plus recourir à la pratique illégale du tirage au sort, dévoile enfin le véritable objectif sur lequel il repose : une rupture radicale avec le principe général adopté à l’unanimité dans ce même hémicycle, il y a cinquante ans, selon lequel tous les bacheliers doivent disposer des mêmes droits de poursuivre leur formation dans l’enseignement supérieur.
Rompant avec cet idéal républicain que nous continuerons de défendre, vous organisez avec ce texte la mise en concurrence des établissements, des formations, des diplômes et des étudiants. Vous donnez aux universités la possibilité de s’investir, comme des entreprises, sur le marché de la connaissance et de l’éducation.

Les étapes suivantes de ce grand mouvement de marchandisation du savoir sont aisées à prévoir : l’augmentation des droits d’inscription, le recrutement international des professeurs en dehors du cadre de la fonction publique, l’utilisation généralisée de l’anglais pour l’enseignement et l’élaboration de filières d’excellence destinées aux étudiants étrangers. Ces pistes sont déjà explorées par plusieurs universités. En réalité, votre projet de loi leur donne une base légale pour poursuivre et accélérer ce développement.
Les vrais bénéficiaires de ce texte ne sont pas les étudiants, mais les établissements qui souhaitent aujourd’hui abandonner leurs obligations de service public pour s’engager dans la course à l’attractivité et tenter de gagner quelques places dans le classement de Shanghai, considéré comme le parangon absolu du marché de l’éducation. Ainsi devenues les pépinières des premiers de cordée, ces établissements de prestige refouleront les indésirables vers des universités de relégation.

Mes chers collègues, vous qui défendez vos territoires dans cet hémicycle, ne doutez pas que cette course effrénée se fera aux dépens des petites universités que vous avez eu tant de mal à promouvoir et défendre. Dans ce domaine non plus, le ruissellement n’existe pas ! Nous avons tout à craindre d’un système universitaire à plusieurs vitesses. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que le renforcement des inégalités d’accès aux savoirs aura des conséquences fâcheuses sur le niveau moyen de connaissance des futures classes d’âge.
Nous savons toutes et tous, dans cet hémicycle, que les prochaines victimes de la rentrée de septembre 2018 seront les candidats qui choisissaient les filières généralistes de l’université par défaut, et que l’instauration de la sélection va les exclure définitivement de l’enseignement supérieur.

Pour ces jeunes, qui proviennent principalement des filières technologiques et techniques, plusieurs groupes du Sénat avaient proposé de réserver de nouvelles places ouvertes pour eux dans les IUT. Toutes nos propositions en ce sens ont été rejetées. Vous nous en avez donné la raison essentielle, et ce en toute honnêteté, madame la ministre : votre gouvernement ne souhaite pas ouvrir de nouvelles capacités d’accueil et fait le choix politique d’attendre l’inversion de la courbe démographique pour résorber le surplus de bacheliers.
Indépendamment du bon ou du mauvais fonctionnement de la nouvelle plateforme Parcoursup, vous devrez, quoiqu’il arrive, assumer la responsabilité politique de l’éviction de tous ces jeunes en septembre 2018 !

Votre gouvernement ayant décidé de ne pas attendre l’adoption définitive de la loi pour l’appliquer, ces jeunes prennent peu à peu conscience, à la lecture des attendus de Parcoursup, que leurs origines sociales et le statut de leur lycée leur donnent peu de chance d’accéder demain à l’enseignement supérieur.
Sans vouloir le reconnaître, nous savons très bien qu’il est très difficile de réussir la première année des études de santé sans recourir aux services supplémentaires d’officines privées, pour un montant d’environ 4 000 euros. Le taux d’échec, qui est de 80 % en première année, leur assure une clientèle captive et de substantiels bénéfices.

Avec Parcoursup, ces offres d’accompagnement privé viennent de connaître un développement spectaculaire. Il est ainsi possible d’acheter, pour environ 750 euros, un dossier tout prêt avec un curriculum vitae parfaitement adapté aux attendus de la formation souhaitée. Cette stratégie onéreuse sera d’autant plus efficace que les dossiers de candidature seront nombreux et exigeront des traitements informatisés.

Madame la ministre, en choisissant d’utiliser essentiellement les résultats des deux premiers semestres de la classe de terminale pour choisir les candidats, en réduisant les épreuves anonymes du baccalauréat par le biais d’une réforme que votre gouvernement n’a pas daigné nous présenter – c’est une habitude –, vous organisez une sélection sociale qui va avoir pour conséquence de renforcer l’exclusion des élèves issus des milieux les plus populaires.
Avec votre projet, madame la ministre, les universités ne sont plus les instruments d’une politique nationale, mais des entreprises qui proposent des services à des candidats qui doivent apporter les preuves sociales de leur capacité à correspondre à la cible de clientèle. Nous continuerons à opposer à ce modèle libéral notre idéal républicain, celui de l’égalité des droits d’accéder aux savoirs et à la connaissance.

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