Ce retard est la conséquence directe des politiques de libéralisation totale

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite avant tout remercier l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Patrick Chaize. Par son initiative, la question de l’accès au numérique, question vitale pour le désenclavement et le développement des territoires ruraux et de montagne, revient au cœur de l’hémicycle.

Nous partageons l’objectif de cette proposition de loi : clarifier et encourager les investissements dans le numérique afin d’atteindre les objectifs du plan France très haut débit, soit la couverture en 2025 de 100 % de la population par la fibre optique. Nous considérons en effet ce réseau par fibre comme essentiel pour les populations, d’une importance équivalente au réseau électrique ou ferroviaire que la puissance publique a su déployer en d’autres temps.

Aujourd’hui, l’accès à ces technologies est déterminant non seulement en termes d’attractivité des territoires, mais également pour le droit à l’information et à la communication, pour l’accès aux œuvres et aux savoirs. Autant de considérants qui ont conduit l’ONU à définir l’accès au numérique comme un nouveau droit de l’homme.

Par ailleurs, pour nos territoires, l’économie numérique pourrait devenir l’outil privilégié de lutte contre les fractures territoriales : un véritable moteur de développement.

Pour toutes ces raisons, nous sommes très soucieux du retard pris par la France, qui se place au vingt-septième rang parmi les pays européens en matière d’accès au numérique fixe. Ce retard est la conséquence directe des politiques de libéralisation totale de ce secteur et du désengagement de l’État, qui ne définit pas un cadre juridique contraignant, lequel serait pourtant favorable au développement du très haut débit.

La politique numérique de la France se résume très simplement : liberté totale pour les opérateurs selon un schéma habituellement délétère où l’on socialise les pertes et où l’on privatise les profits. Un plan qui permet aux opérateurs d’intervenir là où la rentabilité est assurée et qui partout ailleurs, soit 90 % du territoire, appelle les collectivités à prendre en charge le financement des infrastructures déficitaires.

Cette structuration du marché permet aux majors des télécommunications de dégager d’importants profits. En 2016, le bénéfice d’Orange a progressé de 10,7 %, s’élevant à 2,93 milliards d’euros. Pour SFR, ce sont 3,6 milliards d’euros de bénéfice.

À l’inverse, pour les collectivités qui doivent investir en zone non rentable, cet effort est de plus en plus difficile à produire du fait de la baisse continue et importante des dotations.

Par rapport à cette situation, la proposition de loi permet d’introduire quelques correctifs sur cette structuration de marché, mais uniquement pour les zones dites « intermédiaires ». Il s’agit des zones ni très denses ni trop peu denses, où l’État a émis des appels à manifestation d’intérêt pour faire pression sur les opérateurs et obtenir des engagements de leur part. Or, aujourd’hui, dans ces zones dites « AMI », les engagements des opérateurs, dans le cadre des conventionnements, ne sont assortis d’aucune obligation de résultat ni même de moyens. En cas de défaillance, la seule option est celle de l’intervention du secteur public pour pallier les manquements.

Cette proposition de loi préconise dans ce cadre plusieurs évolutions positives : d’abord, une meilleure connaissance des engagements pris ; ensuite, l’obligation de respecter ces engagements sous peine de sanctions ; enfin, l’interdiction pour les opérateurs d’intervenir à un endroit où un autre opérateur a déjà manifesté son engagement d’intervenir. Il s’agit clairement de répondre à l’offensive de SFR, qui avait annoncé être en mesure de « fibrer » l’ensemble du territoire.

Nous sommes donc favorables à ces évolutions tout en regrettant leur périmètre circonscrit et leur caractère limité. En effet, cette proposition de loi préserve malgré tout un modèle hybride, injuste, qui entérine les fractures territoriales : rien sur la zone dense et rien non plus pour aider les collectivités à assumer leur mission de service public local reconnu par la présente proposition de loi.

Nous estimons, pour notre part, que c’est l’ensemble du modèle qu’il faut repenser. Il est indispensable de remettre de la cohérence, de la transparence et de la responsabilité politique pour garantir des droits nouveaux pour nos concitoyens.

La rentabilité à court terme ne peut plus être la seule boussole de notre développement. Il faut sortir de ce prisme et redonner une dimension d’intérêt général à ce secteur.

Nous voyons ici les limites du tout-privé et de la dérégulation. Les solutions existent pourtant. Un seul exemple : la « rente du cuivre », qui a permis d’offrir de généreux dividendes aux actionnaires d’Orange, aurait d’ores et déjà permis de « fibrer » l’ensemble du territoire national.

Nous avons déjà perdu trop de temps.

Deux options uniquement s’offrent à nous pour répondre au défi de la couverture numérique du territoire : soit le public, au sens large, prend la responsabilité d’intervenir partout pour engager une péréquation permettant, dans des conditions acceptables, la création de ce réseau ; soit cette responsabilité est confiée au privé, avec un cahier des charges, des obligations de service public dans le cadre du service public universel qui serait alors étendu au très haut débit.

Si l’objet de cette proposition de loi reste donc loin de cette « révolution du numérique » que nous appelons de nos vœux, elle permet tout de même de corriger certains dysfonctionnements.

Cette proposition de loi a le mérite d’apporter un meilleur encadrement et un début de régulation dans le secteur du numérique. C’est bien sûr une avancée, mais, nous l’avons rappelé, dans un système général qui ne fonctionne pas. C’est pourquoi le groupe CRCE portera une abstention constructive sur ce texte.

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