L’optimisation fiscale est une forme légale de fraude

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite orienter notre réflexion vers quelques enjeux internationaux recouverts par la question.

Tout d’abord, le caractère pour le moins restreint de la liste des mauvais élèves de la fiscalité, ceux que l’on appelle les « paradis fiscaux », des territoires paradisiaques par les facilités qu’ils offrent à quelques entreprises à vocation transnationale de domicilier sur leur territoire, le plus souvent dans des « immeubles boîtes aux lettres », tout ou partie de leurs activités, plus que pour leur population.

Ainsi, en 2015, les Bahamas comptaient officiellement 13 % de chômeurs - plus de 35 % chez les jeunes -, la Barbade 12,3 %, le Belize 11,3 %. Si l’on prend le paramètre de la dette publique, la même année 2015, Antigua-et-Barbuda présentait une dette de 105,5 % du PIB et la Barbade de 103,3 %, ces deux pays encadrant le pourcentage des États-Unis…

Si l’on examine maintenant la question du commerce international, on trouve, parmi les vingt premiers excédents commerciaux de la planète, seize pays ayant de près ou de loin à voir avec le commerce des produits pétroliers bruts ou raffinés ou de matières premières stratégiques, à savoir les pétromonarchies du Golfe, le Sultanat de Brunei, les ex-Républiques gazières et pétrolières de l’URSS, les Pays-Bas et quatre autres nations dont je ne peux manquer de vous délivrer les noms : le Grand-Duché de Luxembourg, la ville-État de Singapour, l’archipel des Maldives et la République d’Irlande…

Les spécialistes acérés de la lutte contre l’évasion fiscale auront sans doute remarqué que nous sommes en ce cas plutôt en présence de pays ayant développé quelques pratiques d’opportunisme fiscal, bien connues des économies spécialisées, dans le secteur des « services financiers ».

Cela m’amène aux considérations suivantes. D’une part, la fraude et l’évasion fiscales ne sauraient se résumer à une affaire de groupes plus ou moins habiles à tirer parti des failles législatives nées d’une absence d’harmonisation des règles fiscales.

Je ne sais pas si je vais vous convaincre, mes chers collègues, mais il faut nous parler avec la plus grande des sincérités : l’optimisation fiscale est une sorte de forme légale de la fraude, qui procède de lois votées par des autorités élues, lois souvent promues par certains groupes. Il y a, en ces matières, une évidente coconstruction entre les milieux d’affaires et les responsables politiques.

Nous le voyons bien dans un pays comme les États-Unis, où le président Trump vient d’ouvrir la guerre des taux pour amener les champions de son économie à revenir au pays et à y rapatrier emplois et bénéfices, et cela nonobstant les conséquences, singulièrement du point de vue de la transition écologique…

L’Europe n’est pas en reste ! N’oublions pas, plus près de nous, que la coalition victorieuse des élections italiennes préconise, entre autres, une flat tax de 15 % pour tout impôt !

En France, quelle utilité par exemple à vouloir aligner la fiscalité des revenus du capital sur celle d’autres pays, plus libéraux, ou à réduire le taux facial d’un impôt sur les sociétés qui ne représente déjà plus que moins de 1,5 % du PIB ? Pour aider les entreprises, nous dit-on… Franchement, ce sont des sornettes – je reste correct –, des balivernes ! Qui peut le croire ?

Je rappelle qu’avant de solliciter l’épargne publique et singulièrement les marchés financiers, solution la plus coûteuse pour se développer, les entreprises disposent de deux outils fondamentaux pour se financer.

Le premier, c’est le produit de leur développement intrinsèque, c’est-à-dire la réaffectation des bénéfices qu’elles réalisent dans des investissements de capacité productive renouvelée. Le second, c’est le recours à la ressource bancaire, dont le coût, en termes de taux d’intérêt réel, demeure inférieur à la préemption exercée par le versement de dividendes sur le résultat de l’entreprise.

La remontée de l’endettement privé des entreprises me laisse d’ailleurs penser que le premier terme, c’est-à-dire l’autofinancement, est appauvri dans bien des cas par l’importance des bénéfices distribués.

La chance des entreprises françaises, c’est de travailler dans un pays où l’impôt est suffisamment important pour permettre, par la réalisation de la dépense publique, par l’investissement local comme national, la création d’un espace favorable à l’activité économique.

L’impôt juste et justement recouvert et acquitté, ce n’est pas juste l’impôt ! Ce sont les réseaux routier et ferroviaire, sur lesquels vont circuler les marchandises, c’est le réseau de téléphonie moderne, qui va faciliter les échanges, c’est la vente à distance, c’est l’appareil de formation et d’éducation d’où vont venir les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers qualifiés de demain.

Prenez en compte les points de croissance que nous laissons en route, parce que la concurrence n’a pas résolu le problème de la couverture du territoire en haut débit !

L’Union européenne, qui n’est pas exempte de reproches en matière de concurrence fiscale déloyale, semble poursuivre depuis quelque temps une étrange logique d’harmonisation fondée sur l’allégement de l’impôt perçu dans l’entreprise et le développement de la fiscalité de consommation – taxe sur la valeur ajoutée, taxes sur l’essence, contribution carbone – et de la fiscalité dite « comportementale » – taxes sur l’alcool, les tabacs… Et cela n’arrange pas du tout les affaires du reste du monde !

Si je devais d’ailleurs formuler une proposition concrète de lutte immédiate contre la fraude et l’évasion fiscales, j’inviterais le Gouvernement à faire en sorte que les élus du personnel, ceux du comité d’entreprise entre autres, soient avisés du montant des royalties perçues lors de la cession de brevets ou d’actifs immatériels, informés des prêts financiers intragroupes ou du prix des transferts. Ça, ce serait une innovation sociale et démocratique en marche !

Fruit de la collaboration entre entreprises transnationales et gouvernements à l’autorité souvent faible, fraude et évasion fiscales conduisent, bien souvent, au pillage des ressources naturelles des pays, nous le savons tous ici. L’insuffisance de ressources publiques de bien des pays en voie de développement demeure un dangereux vecteur des idées obscurantistes. Combattre sans répit la fraude fiscale, c’est aussi éviter l’exil forcé de populations appauvries, qui est le ferment du terrorisme.

J’ai bien écouté le discours de notre collègue de La République En Marche…

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Pascal Savoldelli. Franchement, monsieur Rambaud, pourquoi conclure que vous n’allez pas voter cette proposition de résolution ?

Permettez-moi de citer Victor Hugo, dont j’aperçois le siège depuis la tribune : « La fraude est vilaine et donne un profit nul ; mentir ou se tuer, c’est le même calcul. »

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