Une proposition qui contrevient clairement à la loi de 1905

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’organisation des cultes a préoccupé les pouvoirs publics dès le lendemain de la Terreur. Le Concordat de 1801 et les articles organiques de 1802 ont ainsi soumis catholiques et protestants à une réglementation officielle.

Quant aux juifs, ce n’est que le 17 mars 1808 que trois décrets les concernant sont finalement promulgués. Les communautés juives autonomes sont remplacées par un consistoire central et des consistoires départementaux composés de laïcs et de religieux. Portés par cet élan et convaincus que leur modernisation passera par la formation de leurs ministres du culte, les juifs inaugureront en 1830 à Metz une école rabbinique, qui sera transférée en 1859 à Paris, où elle prendra le nom de Séminaire israélite de France. Cette école existe encore aujourd’hui ; elle est située à proximité du Sénat.

Je me suis permis ce petit préambule, chers collègues, pour vous rappeler que le souci de la formation des ministres des cultes minoritaires ne date pas d’hier, mais aussi qu’il s’est passé quelque chose en 1905 : la fin du Concordat, hors Alsace-Moselle, et la promulgation de la loi de séparation des Églises et de l’État, promouvant une laïcité sans excès. C’est en effet la version la plus libérale de cette séparation qui a gagné : celle d’Aristide Briand, et non celle du « petit père Combes », adversaire déterminé de la religion.

Notre laïcité garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes, ce que certains ont, hélas ! parfois tendance à oublier lorsqu’il s’agit de l’islam.

Les auteurs de la présente proposition de loi estiment nécessaire de s’ingérer dans le fonctionnement du culte musulman, au motif que la loi de 1905 aurait été rédigée à une époque où le territoire national ne comptait que peu de musulmans, et que seuls les cultes chrétiens et juif avaient fait l’objet, en amont, d’une adaptation aux lois de la République. C’est aller un peu vite, chers collègues : nos colonies, que je sache, étaient soumises au droit colonial, tiré pour beaucoup des lois républicaines appliquées en métropole, et si leurs habitants n’étaient pas, hélas ! des citoyens français, ils n’en étaient pas moins des sujets de droit, qui ont vu leurs pratiques culturelles et religieuses évoluer, elles aussi. L’islam ne nous est pas si « étranger » que certains le soutiennent !

Auteure, avec Catherine Troendlé, d’un rapport sur la déradicalisation, je suis consciente des conséquences néfastes des replis identitaires ou du développement des thèses salafistes dans certains quartiers abandonnés par les pouvoirs publics. Ces phénomènes ne touchent pourtant pas l’ensemble des musulmans, qui aspirent à vivre leur foi dans la sérénité.

Former les ministres du culte musulman est certes une urgence, mais cela ne nous autorise pas à déroger à nos principes laïques. L’initiative doit venir de l’intérieur du groupe concerné si l’on veut qu’elle ait quelque impact. Les possibilités sont nombreuses, il n’est nul besoin d’imposer un modèle unique. Le cas d’autres religions n’ayant pas de clergé en témoigne.

L’impuissance des pouvoirs publics face aux financements opaques, notamment étrangers, des édifices cultuels musulmans interpelle davantage. Ils favorisent le développement d’influences fondamentalistes dans certaines mosquées, ainsi que la prolifération de prêches et discours ultra-rigoristes, inspirés par des lectures non contextualisées des textes scripturaires. C’est cet endoctrinement qui doit retenir notre attention, même si les candidats au djihadisme, finalement, fréquentent très peu les mosquées.

Un contrôle de la formation des aumôniers, qui sont rémunérés par l’État, est certes possible et nécessaire.

Le texte issu des travaux de la commission se focalise en revanche sur la création d’un « conseil consultatif des cultes » ayant, entre autres missions, celle de « contribuer à la réflexion sur les conditions de la formation des cadres religieux et ministres du culte » et de « favoriser le dialogue interreligieux ». Y siégeraient deux sénateurs et deux députés.

L’ingérence des pouvoirs publics dans l’exercice des cultes préconisée au travers de la proposition de loi contrevient clairement aux principes posés par la loi de 1905, qui sépare strictement les domaines politique et spirituel. La création d’un tel conseil irait à l’encontre de l’esprit même de la laïcité à la française. Je crains que les musulmans, qui pourraient y voir une mise sous tutelle, ne s’en trouvent à juste titre froissés. La mise en œuvre d’une telle disposition pourrait également déstabiliser les autres religions, d’autant qu’existe déjà, depuis 2010, la Conférence des responsables de culte en France, la CRCF, où siègent deux responsables par culte, y compris le culte bouddhiste, et qui se réunit tous les deux à trois mois.

Chers collègues, restons dans notre rôle. Nous sommes des législateurs, non des organisateurs ou réorganisateurs des cultes.

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