Le Code de l’éducation prévoit déjà une interdiction générale de l’utilisation du téléphone

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, l’expression « lit de justice » désigne, pour les institutions de l’Ancien Régime, une procédure par laquelle le souverain pouvait imposer sa décision au Parlement. (Sourires.) Celui-ci perdait alors son pouvoir discrétionnaire pour ne plus être qu’une chambre d’enregistrement, selon l’adage adveniente principe, cessat magistratus - quand le Prince vient, le magistrat s’interrompt. (Exclamations amusées.)

À lire le texte de la rapporteur de l’Assemblée nationale sur cette proposition de loi, celui de son collègue président de la commission de la culture et des députés de leur majorité, on peut se demander si sa première et seule légitimation ne réside pas dans l’obligation acceptée de satisfaire, selon la même sentence, un engagement pris par le Président de la République à l’occasion de sa campagne.

Ainsi, avec une certaine ingénuité, la rapporteur de l’Assemblée nationale, Mme Racon-Bouzon, tenait les propos suivants : « Comme vous le savez, cette proposition de loi vient mettre en œuvre un engagement pris par le Président de la République lors de sa campagne ; l’objectif est que cette réforme s’applique à partir de la rentrée scolaire de 2018 sous réserve, bien évidemment, du déroulement de nos débats à l’Assemblée, puis au Sénat. » Nous aurions envie d’ajouter : adveniente principe, cessat magistratus, voire une autre maxime encore plus explicite : « si veut le roi si veut la loi » ! (M. Philippe Pemezec rit.) Nous comprenons bien ici que cette forme de servitude volontaire exprime l’inclinaison vers laquelle est entraînée la réforme constitutionnelle en cours.

La proposition de loi est l’instrument de l’initiative parlementaire en matière législative. En l’occurrence, l’Assemblée nationale l’a mise à disposition de l’expression de la volonté présidentielle. Nous savons gré à notre collègue députée de nous laisser encore la liberté de maîtriser le déroulement de nos débats. En revanche, je m’associe aux remerciements adressés à notre collègue Stéphane Piednoir, qui a tenté de faire la part des choses et de donner un peu de substance juridique à un texte qui en était singulièrement dépourvu.
Qu’on en juge ! L’article L. 511-5 du code de l’éducation dispose que « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ». Cette rédaction sans ambiguïté marque une interdiction générale de l’utilisation du téléphone dans les établissements cités, tout en laissant la possibilité aux équipes pédagogiques de définir, par le biais du règlement intérieur, les lieux où elle ne s’exercerait pas.

La nouvelle rédaction proposée pour cet article n’apporte aucune extension ou confortation juridique majeure au dispositif actuel. Ses seules plus-values sont l’ajout de la notion d’« équipement terminal de communications électroniques » à celle de « téléphone mobile », la mention explicite dans la loi de la possibilité d’interdire ces équipements dans les lycées par le biais des règlements intérieurs et de pouvoir en autoriser la confiscation de la même façon.
Ces précisions méritaient-elles l’inscription, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi à l’ordre du jour d’une session extraordinaire déjà surchargée par l’examen de textes qui auraient mérité des débats moins entravés ?

Dans les échanges à l’Assemblée nationale ou au Sénat, au sein de notre commission, ont été évoqués une « défaillance » du droit actuel et un vide juridique. Quels sont-ils ? Dans la pratique, aucun exemple ne nous est rapporté de situations dans lesquelles l’actuel dispositif de l’article L. 511-5 du code de l’éducation se serait révélé inapproprié ou aurait placé les équipes pédagogiques dans des situations de fragilité juridique.

Bien au contraire, il aurait été précieux de dresser un bilan des expériences nombreuses ayant permis aux enseignants, dans nombre d’établissements, de mettre à profit la discussion collective sur le règlement intérieur pour engager un débat très utile, avec les élèves et leurs parents, sur les conditions d’utilisation des téléphones.

Pourquoi faudrait-il absolument valider par la loi les bonnes pratiques locales, alors qu’il suffirait de leur donner la publicité qu’elles méritent pour en favoriser la diffusion ? La vérité ne procéderait-elle que du haut vers le bas ? Effaré par la minceur du sujet de cette proposition de loi, je me suis finalement demandé, comme notre collègue Antoine Karam, si son objet inconscient n’était pas de soigner un mal-être général et d’exiger de l’enfant une pondération que l’adulte n’arrivait plus à s’imposer. Quand je vous vois consulter vos téléphones portables, mes chers collègues, je me dis que je suis dans le vrai ! (Sourires.)

M. François Bonhomme. Nous ne sommes plus à l’école !

M. Pierre Ouzoulias. Sur le fond, car il ne faudrait pas que ces ratiocinations nous le fassent oublier, il est urgent d’ouvrir un vaste chantier de recensement, d’évaluation et de confrontation des expériences foisonnantes réalisées dans l’utilisation du numérique pour l’enseignement.

Forte de son indépendance, de ses compétences reconnues dans ce domaine et de son esprit constructif, la Haute Assemblée est à votre disposition, monsieur le ministre, pour engager avec tous les acteurs la réflexion générale sur ces sujets ; c’est peut-être l’utilité de la présente proposition de loi que d’en avoir montré l’urgence.

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