Les équipes pédagogiques ont déjà tous les outils pour restreindre l’usage des téléphones portables

n medio stat virtus…Merci, monsieur le ministre, de cette citation latine, qui pourrait être l’adage du Sénat.

Je citerai pour ma part un historien dont je partage souvent les idées, à savoir mon collègue Max Brisson, qui s’interrogeait, lors de la commission mixte paritaire, « sur le temps consacré par le Parlement à ce sujet qui relève du niveau réglementaire ».

Je prie mon collègue Max Brisson de m’excuser pour cette facétie de fin de session extraordinaire ! Plus sérieusement, je n’ai toujours pas compris, monsieur le ministre, à la lecture des débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale, au Sénat et au sein de la commission mixte paritaire, pourquoi il était nécessaire de garantir une base juridique plus sûre à une disposition du code de l’éducation qui n’a suscité aucun contentieux et dont il ne nous a pas été montré concrètement en quoi elle était d’application difficile.

Je reste persuadé que les équipes pédagogiques ont aujourd’hui tous les outils dont elles ont besoin pour restreindre comme elles le souhaitent, ou presque, l’usage des téléphones portables. La vraie question reste donc de savoir pourquoi, dans la moitié des établissements, pour reprendre votre estimation, monsieur le ministre, elles seraient dans l’incapacité d’imposer cette restriction.

Il serait plus utile de les aider à faire prévaloir leur volonté de limitation, plutôt que d’ajouter un nouveau texte qui va faire l’objet de gloses dans les services juridiques du ministère, les rectorats et les conseils d’administration des établissements à la rentrée. Je suis toujours surpris de notre capacité d’imposer aux autres de nouvelles normes juridiques alors que nous refusons avec grande véhémence celles dont nous accable l’État !

Enfin, je m’interroge comme vous, monsieur le rapporteur, sur la notion de « citoyenneté numérique » introduite dans notre droit par ce texte. Aucune définition n’en est donnée dans la proposition de loi, les rapports ou les débats. J’ai repris la littérature sur le sujet et me suis aperçu que cette notion s’est imposée à la fin des années quatre-vingt-dix, essentiellement dans la littérature anglo-saxonne, avec des acceptions extrêmement variées.

Le cybercitoyen pourrait être un individu que sa grande facilité à utiliser les outils numériques placerait de facto à un niveau élevé de compréhension des processus sociaux et politiques. Cette aisance technique lui donnerait une capacité supérieure à affirmer ses intérêts propres au sein d’une société conçue comme une forme de conciliation de toutes les opportunités individuelles.

D’aucuns, comme Pierre Rosanvallon en France, envisagent très différemment le monde numérique, qu’ils considèrent comme « un espace généralisé de veille et d’évaluation du monde ». Le citoyen numérique est alors un « citoyen vigilant » qui utilise les informations qu’il se procure directement pour forger les outils et les moyens d’action d’une « contre-démocratie » dont l’objectif est de contester les formes de la domination.

D’autres, enfin, conçoivent les outils numériques comme un moyen de promouvoir des réseaux décentralisés de délibération et de décision, afin d’élaborer une nouvelle démocratie en dehors des cadres institutionnels classiques.

Je ne doute pas que la majorité qui a soutenu ce texte à l’Assemblée nationale défende ces conceptions émancipatrices et quasiment libertaires des usages du numérique. Néanmoins, je suis très curieux de savoir, monsieur le ministre, quelles instructions et recommandations votre administration adressera aux équipes pédagogiques pour les éclairer sur les contenus de ces nouveaux apprentissages de la « citoyenneté numérique ».

Plus sérieusement, je crois qu’il était possible de faire montre de plus d’humilité et de ne pas céder à la facilité en utilisant ce type de concept fumeux dans un texte législatif. En revanche – nous sommes tous d’accord sur ce point –, il nous faut rapidement engager une réflexion collective et plus sérieuse sur les relations entre le numérique, l’éducation et le métier d’enseignant.

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