Le monde agricole se meurt et ce texte n’y change rien

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons donc pour examiner en deuxième lecture le projet de loi ÉGALIM, dont l’objet premier, après les états généraux de l’alimentation, était de rééquilibrer le partage de valeur dans les filières agricoles. Il s’agissait de répondre à une question simple : les agriculteurs pourront-ils enfin vivre décemment de leur travail ? Il semble, malheureusement, que la réponse à cette question soit négative, surtout après l’examen en deuxième lecture du texte par l’Assemblée nationale : le débat et la position du Gouvernement nous ont éloignés de cet objectif.

Aujourd’hui, nous ne pouvons que constater cet échec. Encore une fois, l’urgence que connaît le monde paysan n’est pas traitée de manière satisfaisante, et nous continuerons, au travers de débats, de missions d’information, à faire le constat d’un monde agricole qui se meurt. Car ne nous y trompons pas, ce projet de loi sans saveur ne pose en aucun cas les bases d’un revenu paysan, alors même que cet élément apparaissait comme prioritaire à l’issue des états généraux de l’alimentation...

Le rétropédalage du Président de la République et du Gouvernement remet en cause une transition agricole que tout le monde semblait vouloir. Je dis bien « semblait », car comme l’a souligné mon ami André Chassaigne lors de son intervention dans la discussion générale à l’Assemblée nationale, le « verbatim » des discours de la majorité présidentielle a grandement évolué et montre une dilution des engagements.

À l’article 1er, tout d’abord, le Président avait affirmé, dans son discours de Rungis, qu’« afin de permettre aux agriculteurs de peser dans les négociations, des indicateurs de marché, des coûts de production et des contrats types par filière doivent être définis ». Aujourd’hui, le verbe « devoir » est remplacé, dans le texte que nous étudions, par le verbe « pouvoir » : nous y lisons en effet que les organisations interprofessionnelles « peuvent » élaborer ou diffuser ces indicateurs, qui « peuvent » servir d’indicateurs de référence, et qu’elles « peuvent », le cas échéant, s’appuyer sur l’observatoire. On en conviendra, entre « devoir » et « pouvoir », le champ des possibles est immense !

Alors que les paysans ont besoin d’être protégés des griffes d’un modèle économique qui les tue un peu plus chaque jour, l’État refuse de s’immiscer dans la construction des prix. Pour les syndicats – y compris la FNSEA –, « en envoyant aux acteurs économiques des injonctions à faire, l’État leur renvoie la responsabilité et refuse d’assumer son rôle de régulateur ».

Ainsi, rien dans ce texte ne permettra la mise en place d’un prix plancher d’achat défini collectivement et prenant directement en compte les coûts de production régionaux. L’interdiction de la revente à perte et la définition d’un prix abusivement bas, ainsi que la prise en compte du revenu paysan dans la construction des indicateurs, ont été systématiquement rejetées. Il en est de même du déclenchement d’un encadrement des marges de la distribution en cas de crise. Que dire aussi du silence qui entoure le foncier agricole, en dépit du caractère fondamental de cette question ?

De plus, si la commission d’enquête chargée de tirer les enseignements de l’affaire Lactalis recommande aux pouvoirs publics de mieux encadrer et de contraindre davantage les acteurs économiques en matière de sécurité sanitaire, il doit en être de même en ce qui concerne l’équilibre des relations commerciales. En effet, ces mêmes acteurs, de l’industrie à la distribution, ne s’embarrasseront pas de scrupules dans la recherche de la maximisation de leurs profits, qu’il s’agisse de la sécurité alimentaire ou des relations commerciales, au détriment des paysans et des citoyens. Compter sur une responsabilisation des différents acteurs est illusoire. Les agriculteurs n’y croient plus, tant la discussion interprofessionnelle est tronquée du fait du déséquilibre des forces en présence, et ce n’est pas le seul médiateur qui pourra inverser la tendance ; nous le savons toutes et tous.

Nous regrettons aussi que ce texte, de manière grossière, dresse les agriculteurs contre les consommateurs, alors même que la révolution que doit connaître le monde agricole profitera à tous.

Comment accepter le refus de l’étiquetage, qui renforcera la traçabilité et mettra en valeur les modes de production vertueux ? Comment accepter le refus d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate, dont on connaît la nocivité pour les agriculteurs et les consommateurs ? Malgré la remise en cause pure et simple du principe de précaution par le rapporteur en première lecture, nous ne pouvons minimiser la condamnation de Monsanto par la justice américaine cet été.

Ce projet de loi ne fait qu’illustrer, une fois de plus, les stratégies de communication du Gouvernement, les promesses trahies, ainsi que la frilosité de la majorité sénatoriale, pour ne pas dire son entêtement à ne pas prendre la mesure des défis climatiques, écologiques et sanitaires auxquels doivent faire face nos agriculteurs.

C’est un énorme gâchis, tant pour la première partie du texte que pour la seconde. Nous n’attendions pas grand-chose de la CMP, si ce n’est un peu de respect pour les travaux du Sénat, qui avaient permis, notamment pour la première partie, quelques avancées... Nous nous abstiendrons sur la motion présentée par la commission.

Retour en haut