Cette mission est gravement sous-budgétisée

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, il y a quelques mois, la Haute Assemblée adoptait un texte validant l’enfermement des mineurs en centre de rétention administrative, ou CRA, facilitant les expulsions et réduisant l’accès aux droits des exilés, alors même que nous connaissions, toutes et tous, la terrible réalité de ces destins arrachés à leur terre natale par la guerre, la famine, la persécution, l’instabilité politique et le dérèglement climatique.

Après le vote de la loi Asile et immigration, restait à découvrir le budget sur lequel s’appuierait sa mise en œuvre. Chacun peut aujourd’hui constater la nette augmentation des crédits alloués à cette mission. Pourtant, sous ces apparences flatteuses, se cache une réalité tout autre.

Alors que croît le nombre de requérants à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et en dépit des alertes lancées par les professionnels de terrain, le Gouvernement mise sur une stabilisation très hypothétique des demandes d’asile. Le dispositif d’hébergement et de formation professionnelle, absolument nécessaire à l’intégration des personnes émigrées, souffre d’une évidente sous-budgétisation. Ce choix politique ne fera qu’aggraver la précarité déjà grande des exilés et aboutira, je le crains, à l’apparition de nouveaux campements de fortune.

Par là même, le Gouvernement nous éclaire sur sa priorité : la lutte contre l’immigration irrégulière, au détriment de l’intégration républicaine, ce qu’attestent notamment les 450 places supplémentaires qui seront créées en CRA, et l’aide au retour largement déployée par l’exécutif.

Du fait d’un désengagement de l’État, qui se refuse à développer des programmes pertinents comme celui de l’AFPA – l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes –, ce sont les forces vives de la société civile qui prennent le relais, telles que la CIMADE, COALLIA et d’autres associations et organisations non gouvernementales, qui sont à la pointe des combats en faveur des migrants que les pouvoirs publics renoncent à mener eux-mêmes en matière d’accès aux droits, d’accès aux soins et de socialisation par l’emploi et l’apprentissage du français.

Au lieu de promouvoir les bienfaits de certaines politiques publiques exemplaires en matière d’intégration, ou d’apprécier pour ce qu’elles sont les innovations de la société civile pour accompagner l’arrivée des exilés, le Gouvernement préfère agiter les peurs.

Pourtant, que vous le vouliez ou non, monsieur le secrétaire d’État, les mouvements de populations à l’échelle mondiale ne sont pas près de s’estomper. Reprenant, hélas, à son compte les mots du Rassemblement national, votre prédécesseur estimait que l’Europe était actuellement « submergée » par les migrations d’une Afrique appauvrie et d’un Moyen-Orient en guerre. Je parle évidemment de M. Collomb.M. Roger Karoutchi. On avait compris ! (Sourires.)

Mme Esther Benbassa. Avec les 250 millions de réfugiés climatiques supplémentaires prévus par l’ONU d’ici à 2050, nous ne sommes qu’à l’aube de flux migratoires susceptibles de bousculer le principe même de frontière.
Nous devons donc adopter dès à présent une politique budgétaire ambitieuse en faveur d’une prise en charge sociale et sanitaire des exilés, par un traitement plus attentif et plus fluide des dossiers par l’OFPRA et la CNDA, la Cour nationale du droit d’asile, et par un soutien accru aux associations, qui effectuent un travail remarquable.

M. François Bonhomme. Pauvre Gérard Collomb ! (Sourires.)

Mme Esther Benbassa. Soyons à la hauteur des enjeux et de l’histoire. Lors de l’arrivée des boat people en France,…

M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. Ils fuyaient le communisme !

Mme Esther Benbassa. … Raymond Aron, Jean-Paul Sartre et d’autres avaient réussi à dépasser leurs clivages idéologiques pour agir en leur faveur.
Environ 120 000 d’entre eux furent effectivement admis, puis s’intégrèrent parfaitement. Pourquoi serions-nous incapables du même geste ?

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