Le mot laïcité n’est jamais cité dans l’exposé des motifs de cette résolution

Le mot laïcité n'est jamais cité dans l'exposé des motifs de cette résolution - Proposition de résolution relative au port du voile intégral dans l'espace public (Bass_nroll - https://www.flickr.com/photos/bass_nroll/)

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la laïcité française, dans ses principes et ses modalités d’application, demeure une spécificité de notre République et ses conceptions originales doivent être collectivement défendues, sur notre sol et dans les instances internationales.
La Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe n’ont jamais, dans leurs nombreuses décisions, contesté les législations ou les décisions judiciaires fondées sur ses préceptes.
En revanche, le Comité du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a parfois manifesté de l’incompréhension ou de l’opposition à l’égard de la laïcité française. Cette proposition de résolution aurait pu être l’occasion de lui rappeler notre attachement collectif à cet élément fondamental de notre socle républicain, d’en défendre les principes et d’en promouvoir la valeur universaliste. Nous regrettons donc vivement que le mot « laïcité » ne soit jamais cité dans l’exposé des motifs et le texte de cette résolution.

À propos des constatations du Comité des droits de l’homme des Nations unies publiées le 22 octobre 2018, il convient, en préambule, de préciser qu’elles n’ont aucune conséquence juridique sur le droit français. En aucune façon, elles ne modifient l’ordonnancement juridique national ou n’atténuent la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Les mesures proposées aux alinéas 14 et 15 de la présente proposition de résolution sont donc sans objet.
Néanmoins, je pense qu’il aurait été utile pour nos débats de reprendre ici certaines des observations présentées par la majorité des membres de ce Comité. En effet, plusieurs d’entre eux partagent l’idée que le voile dissimulant totalement le visage, appelé niqab, est « discriminatoire ». Ils estiment que « le port du voile intégral est une pratique traditionnelle par laquelle les hommes ont asservi les femmes sous couvert de préserver leur ″pudeur″, les empêchant ainsi d’occuper l’espace public au même titre que les hommes ». De même, le Comité, dans sa décision, reconnaît à l’État français le droit de « promouvoir la sociabilité et le respect mutuel entre les individus, dans toute leur diversité, sur son territoire, et conçoit que la dissimulation du visage puisse être perçue comme un obstacle potentiel à cette interaction ». In fine, ce qui est contesté par ce Comité, c’est moins la mesure elle-même, l’interdiction du voile intégral, que la disproportion de la restriction de circulation, par rapport à un objectif qu’il estime mal défini par la loi.

Sur ce dernier point, la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public aurait pu, il est vrai, être plus explicite. Son premier article dispose : « Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». En revanche, l’exposé des motifs est beaucoup plus précis puisqu’il considère, avec justesse, que « la dissimulation du visage dans l’espace public est porteuse d’une violence symbolique et déshumanisante, qui heurte le corps social » et que le voile revient « à nier l’appartenance à la société des personnes » qui le portent.

Fondamentalement, l’objet même de la loi est non pas la nature du bout de tissu porté par un individu, mais la position politique qui dénie à une femme ses droits de citoyenne, conformément à des traditions religieuses qui s’imposeraient à l’ordre républicain. Il s’agit non pas de réglementer la dissimulation du visage, qui pourrait concerner, de la même façon, la femme intégralement voilée et l’individu qui souhaiterait cacher son identité aux forces de sécurité, mais de réaffirmer, dans l’exercice de la citoyenneté à laquelle nul ne peut renoncer, la primauté des lois de la République sur les croyances ou les systèmes de pensée qui lui sont extérieurs. Là est bien l’essence de la laïcité.
À ce propos, j’aimerais rendre hommage au courage de M. Yadh Ben Achour, juriste tunisien et membre du Comité aux droits de l’homme, qui a souhaité exprimer avec force son opposition à la décision de cette instance.

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Pierre Ouzoulias. Ses arguments ont été repris en annexe et méritent d’être cités de nouveau : « L’ordre, en France, par l’effet de la Constitution, est un ordre républicain, laïque et démocratique. L’égalité des hommes et des femmes fait partie des principes les plus fondamentaux de cet ordre [...]. Or, en soi, le niqab est un symbole de stigmatisation et d’infériorisation des femmes, par conséquent contraire à l’ordre républicain [...]. Les défenseurs du niqab enferment la femme dans son statut biologique primaire de femelle, objet sexuel, chair sans esprit ni raison, responsable potentiel du désordre cosmique et du désordre moral, et qui doit donc se rendre invisible au regard masculin et être pour cela quasiment interdite de l’espace public. Un État démocratique ne peut permettre une telle stigmatisation [.] »

M. Yadh Ben Achour, en tant que Tunisien et professeur de droit public, observe que les droits de l’homme se heurtent à « l’arc référentiel » de la croyance islamique selon laquelle l’ordre du monde ici-bas est comme subordonné à celui de l’au-delà et que les droits de Dieu sont supérieurs à ceux des individus. Pour lui, la religion ne peut être autoréférentielle. Elle doit se soumettre à la raison universelle.

Alors que nous allons peut-être débattre prochainement des lois de bioéthique, notre assemblée est-elle prête à reconnaître entièrement cette soumission ? Êtes-vous prêts, chers collègues, à considérer que la laïcité est la condition première de l’émancipation des femmes et de l’affirmation de leur liberté à disposer librement de leur corps, y compris lors de la procréation ?

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