Les quartiers ont besoin d’un retour de l’État pour assurer la sécurité et lutter efficacement contre les trafics

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que notre pays affronte une crise sociale liée au mal-vivre et à l’accroissement des inégalités dénoncés par le mouvement des gilets jaunes et par toutes celles et tous ceux qui luttent dans ce pays, le Sénat a jugé urgent d’étudier ce texte.

Nous pensons que les urgences écologiques, sociales et industrielles sont autrement plus fortes, et qu’elles devraient nous emmener sur un tout autre terrain législatif pour donner de l’espoir aux quartiers populaires et à leurs habitants.

M. Philippe Pemezec. Les ghettos, vous les avez fabriqués !

M. Fabien Gay. Nous devrions, à notre sens, consacrer du temps à débattre d’un nouveau contrat social, reposant sur trois piliers : une république sociale, une république écologique…

M. Philippe Pemezec. L’écologie, voilà la nouvelle idéologie !

M. Fabien Gay. … et une démocratie nouvelle.

Mon collègue veut parler ; nous débattrons tout à l’heure.

Mais, puisque ce texte nous est présenté, étudions-le.

Pour comprendre sa logique, il faut se souvenir que c’est la loi du 15 novembre 2001 qui, complétée par la loi de 2003 sur la sécurité intérieure, a donné naissance à l’article L. 126-3 du code de la construction et de l’habitation qui est ici visé : des lois d’essence ultrasécuritaire, contre lesquelles notre groupe s’était battu sans relâche, considérant qu’elles seraient inefficaces, car elles traitaient une conséquence sans s’attaquer aux causes.

Ces lois étaient présentées comme la solution miracle contre le squat des halls d’immeubles. Dix-sept ans plus tard, force est de constater que rien n’a bougé. Ceci s’explique par le caractère strict des conditions de caractérisation du délit d’occupation illicite, qui le rendent difficile à prouver, mais également par le fait que rien n’a été fait pour traiter le mal à la racine.

Les politiques libérales ont continué de confronter les habitants de ces quartiers au chômage et au déclassement. (M. Philippe Pemezec ironise.) La distension du lien social et l’assèchement des politiques publiques, notamment dans la prévention et l’éducation populaire, ont confiné la jeunesse dans de grandes difficultés, mêlant échec scolaire et défaut d’insertion professionnelle.

Soyons clairs : nous trouvons inadmissible que rentrer chez soi devienne une crainte permanente et que l’occupation des halls rende la vie des habitantes et habitants insupportable.

En outre, ces faits se déroulent souvent dans un contexte qui est celui d’immeubles délabrés, de services publics supprimés ou rabotés, de commerces qui ont déserté, autant d’éléments traduisant un abandon de l’État et un recul de la République, nourrissant le désespoir des habitants et particulièrement des jeunes, qui se pensent sans avenir et sans horizon. Ceci est inacceptable et invivable pour des millions de nos concitoyens !

M. Philippe Pemezec. Quel toupet !

M. Fabien Gay. Mais comment ferez-vous constater ces délits, mes chers collègues, sachant que la police ne se rend plus dans certains quartiers, car les effectifs manquent, ou que les policiers, souvent sans expérience, ont la peur au ventre en se rendant au travail ? Une question, monsieur le ministre : qu’en est-il de la police de sécurité du quotidien, annoncée à grands coups de campagne médiatique, mais que les habitants et les élus, sur le terrain, attendent toujours ?

Mme Cécile Cukierman. Excellente question !

M. Fabien Gay. Ce dont ont prioritairement besoin ces quartiers – l’appel de Grigny, lancé sur l’initiative de mon ami Philippe Rio, et le plan Borloo, que vous avez jeté aux oubliettes, l’ont mis en lumière –, ce n’est pas d’un durcissement de la loi pénale, mais du retour de l’État pour assurer une chose : l’égalité républicaine.

Il faut des moyens pour les politiques de prévention et de rénovation urbaine ! Il faut de véritables moyens pour la police et la justice, afin d’assurer la sécurité et de lutter efficacement contre les trafics ! Il est nécessaire de rétablir, comme nous le proposions, une police de proximité au contact des habitants renouant le lien avec les jeunes. Nous avions déposé un amendement en ce sens ; mais il a été déclaré irrecevable, à notre grand regret.

Nous ne sommes pas hostiles à l’idée, visée à l’article 1er, d’accorder à la police une autorisation permanente d’entrer dans les parties communes ; c’est une demande du secteur HLM.

En revanche, nous sommes contre l’article 2. Il est inopportun de renforcer ce qui s’est révélé inutile et inefficace. Au demeurant, compte tenu de la formulation choisie, « atteinte à la tranquillité publique », le fait restera tout aussi difficile à démontrer. Par ailleurs, notre législation contient déjà des dispositions pour sanctionner de telles atteintes.

Il n’est pas non plus besoin d’en rajouter avec des peines de prison et des amendes doublées ! Un tel alourdissement de la sanction pénale est inadapté au public visé. La solution répressive, plus rapide et plus visible, se révèle impuissante si elle ne s’accompagne pas d’une dimension éducative. Elle risque même d’aggraver les phénomènes de délinquance.

Nous estimons donc qu’il convient de renforcer et de développer des partenariats entre l’éducation nationale, les élus, les professionnels de terrain et les bailleurs sociaux.

J’en viens aux clauses résolutoires au sein des baux HLM. L’état actuel du droit permet déjà aux bailleurs d’expulser les locataires pour un tel motif. À nos yeux, rendre obligatoire cette clause seulement pour le secteur HLM crée une iniquité inacceptable entre le parc social et le parc privé.

Il en est de même pour la disposition permettant de rompre le bail des personnes dont les enfants auraient été condamnés pour trafic de stupéfiants. Quelle est la sanction pour les locataires du secteur privé ? Voilà encore une inégalité insupportable ! Cela rappelle la disposition législative de 2003 qui prévoyait de couper les allocations aux familles des adolescents délinquants.

M. Philippe Pemezec. C’est une très bonne chose !

M. Fabien Gay. Remarquez, le ministre de l’éducation nationale veut maintenant de couper les allocations des parents d’enfants violents. Décidément, chez les libéraux de tout poil, le « tout sécuritaire » est une obsession ! Comment penser que l’on réglera le problème en mettant des familles un peu plus la tête sous l’eau, alors qu’elles cumulent déjà bon nombre de difficultés ?

Je forme le vœu que l’on cesse de faire de l’ultra-sécuritaire un dogme ; dans la vie réelle, cela ne résout rien ! (M. Philippe Pemezec s’esclaffe.) Ne rigolez pas : moi, j’habite dans ces quartiers populaires !

M. Philippe Pemezec. Et vous croyez que j’habite où ?

M. Fabien Gay. Attelons-nous plutôt à changer véritablement la vie dans les quartiers populaires. Ce serait, me semble-t-il, un grand pas en faveur des habitantes et des habitants.

Pour les raisons que j’ai indiquées, nous nous opposerons à ce texte.

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