La prédation des plateformes comme Facebook détruit le travail des journalistes

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée s’est saisie, en cette séance, par le biais de cette proposition de loi, d’une affaire sérieuse : une affaire de vol, une spoliation à grande échelle de productions intellectuelles, qui lèse celles et ceux qui contribuent à l’information et menace, par là même, les fondements de notre démocratie et la capacité de nos concitoyens à se forger une opinion par la confrontation de faits collectés, commentés et soumis à leur jugement, selon des règles déontologiques acceptées collectivement.

Cette dépossession sans contrepartie du travail des journalistes, aux dépens des organes d’information qui les font vivre, est organisée avec une très grande efficacité par des plateformes qui exploitent l’absence de régulation de l’internet pour profiter d’une quasi-impunité.

Ce larcin est à la mesure du profit qu’elles en tirent. En 2017, Facebook a réalisé un bénéfice de près de 14 milliards d’euros et Google de près de 11 milliards d’euros. Il s’agit de résultats quasiment nets, puisque ces entités déploient des stratagèmes tout aussi démoniaques pour ne pas payer l’impôt.

En très peu de temps, se sont ainsi constituées des organisations supranationales qui imposent leurs choix aux États et finiront par accaparer les derniers instruments de la souveraineté : l’émission de la monnaie et le contrôle de la démocratie. Elles exercent d’ailleurs, passivement ou activement, une influence sur le cours des campagnes électorales.

En s’affranchissant du pouvoir de régulation des États, elles ont réussi à leur imposer l’intangibilité de leur principe économique, qui consiste à capter une part toujours croissante de la richesse produite par la maîtrise de la collecte et de la mise à disposition des données de l’internet. Aujourd’hui, fortes d’un pouvoir incontesté, elles agissent avec une grande efficacité pour défendre le statu quo dans la négociation en cours de la directive européenne.

La commission de la culture du Sénat, sous la conduite de sa présidente et dans une unanimité quasiment permanente, déploie une activité soutenue et constante en faveur d’une régulation raisonnée de l’internet.

La présente proposition de loi, déposée par David Assouline et ses collègues, s’inscrit heureusement dans le prolongement de ce travail de fond. Son objet est précis, son champ d’application est limité, mais essentiel, et ses moyens d’action sont pragmatiques et déjà éprouvés dans d’autres domaines de la création. Au risque de désobliger l’humilité de notre collègue David Assouline, je dirai qu’elle s’impose avec l’évidence de ces lois de bon sens, dont on se demande pourquoi elles n’ont pas été votées plus tôt. (Sourires.)

L’unanimité de notre commission, que confirmeront, sans nul doute, nos votes à venir, vous oblige, monsieur le ministre, et doit vous inciter à rejoindre notre effort collectif pour donner à cette proposition de loi une issue favorable.

Son objectif n’est pas de contraindre les institutions européennes, ni de se substituer à ces dernières dans une négociation qui doit nécessairement aboutir dans le cadre de l’Union européenne. Face aux désordres de l’internet et aux risques importants qui pèsent sur le pluralisme de l’information et sur l’existence des journalismes qui en sont des acteurs et les garants, nous devons réaffirmer le principe fondamental du droit de l’auteur dans toutes ses composantes morales et économiques.

En France, les droits des auteurs ont été reconnus par sept lois adoptées entre 1791 et 1793. Celles-ci ont abrogé les règles d’Ancien Régime qui donnaient au seul souverain le privilège d’autoriser et de censurer les œuvres de l’esprit. La liberté de l’auteur et la reconnaissance de sa capacité à tirer un profit matériel de son travail intellectuel sont des acquis majeurs de la Révolution et constituent des fondements essentiels de notre démocratie.

Monsieur le ministre, mes chers collègues du Parlement européen, je vous invite à considérer cette proposition de loi comme la réaffirmation solennelle de ces principes fondamentaux et l’expression de notre volonté de les mettre au service de l’élaboration d’une démocratie européenne partagée, dans les frontières de l’Union.

Il ne peut subsister de démocratie véritable sans liberté d’opinion, sans reconnaissance du travail de celles et ceux qui construisent l’information et sans défense des sociétés et des organismes qui la diffusent.

En protégeant les producteurs de l’information, nous donnons aussi, paradoxalement, aux plateformes la possibilité d’en tirer profit durablement. En effet, comment ne pas comprendre que leurs activités prédatrices détruisent la ressource qu’elles exploitent ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Absolument !

M. Pierre Ouzoulias. Cet accaparement sans contrepartie est suicidaire. Que restera-t-il sur ces réseaux quand journalistes et organes d’information auront disparu ? La trivialité de témoignages individuels livrés, sans élaboration, sans contrôle et sans limites, à la scoptophilie !

Le consensus trouvé en commission comme, je l’espère, dans cet hémicycle nous invite à espérer que cette proposition de loi marquera la première étape du chantier de régulation de l’internet que nous appelons collectivement de nos vœux. Le Gouvernement et l’Assemblée nationale doivent maintenant y prendre toute leur part, de façon constructive, mais dans le respect des grands principes que ce texte tend à établir.

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