Non, en France, tout n’est pas à vendre, surtout pour engraisser Vinci

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi de plus de deux cents articles aurait pu être découpé en au moins dix projets de loi, comme le prouvent les nombreuses et longues interventions qui ont eu lieu au début de chaque article essentiel – il y en a même eu une, relative à la privatisation d’ADP, qui ressemblait davantage à un meeting de campagne macronien qu’à une prise de parole sur article…

Pour notre part, nous sommes heureux qu’une majorité d’idées se soit dégagée pour refuser la privatisation et le bradage du monopole naturel que constitue ADP. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Sido. Bravo !

M. Fabien Gay. Monsieur Yung, ce n’est pas une majorité hétéroclite qui s’est exprimée, mais une large majorité d’idées, pour défendre l’intérêt général. Voilà ce qui s’est passé, tout simplement ! (Mêmes mouvements.)

Après le scandale des autoroutes, celui de l’aéroport de Toulouse-Blagnac et celui à venir de nos barrages hydroélectriques, voilà un premier coup d’arrêt dans la vente de nos actifs dans des secteurs stratégiques de l’État. Non, en France, tout n’est pas à vendre, surtout pour aller engraisser quelques multinationales comme Vinci ! (M. le ministre de l’économie et des finances manifeste sa désapprobation.)

Mes chers collègues, rendez-vous le 7 mars prochain : dans le cadre de son ordre du jour réservé, le groupe CRCE vous proposera de renationaliser les autoroutes… (Exclamations.)

Mme Éliane Assassi. Eh oui !

Mme Sophie Primas. N’exagérons rien !

M. Fabien Gay. Quant à vous, monsieur le ministre, il vous faudra respecter la voix du Sénat. Il est inconcevable, dans le moment politique que nous traversons, que vous puissiez passer outre cette quasi-unanimité. Envoyer un message contraire serait désastreux, au moment où vous prônez le dialogue partout dans le pays.

Nous vous faisons une proposition : sortez de ce projet de loi les privatisations et intégrez cette question dans le grand débat national. Êtes-vous d’accord pour que l’État continue à céder des parts pour engraisser le privé ? Et comme vous êtes en train de réfléchir à un référendum à questions multiples, n’hésitez pas à poser cette question, à côté de celles qui porteront sur l’augmentation des salaires et le rétablissement de l’ISF !

Mme Éliane Assassi. Bravo !

M. Fabien Gay. Pour le reste du texte, il y a un fil rouge cohérent : amplifier, sous couvert de vouloir « moderniser et simplifier », le détricotage du code du travail. En réalité, vous voulez créer un nouveau western social, où la loi du plus fort deviendra la norme. Par exemple, en deux cents articles, il n’y a aucun droit nouveau pour les salariés ! L’entreprise serait au cœur de votre projet de loi, mais pas les entrepreneurs, ni les salariés, ni les sous-traitants, ni les collectivités territoriales !

Comment comprendre qu’un certain nombre de nos amendements répondant à l’intérêt général, faisant écho à la crise sociale que nous traversons et en lien avec le texte aient été déclarés irrecevables ou refusés ?

Augmenter le SMIC ? Pas à l’ordre du jour ! Augmenter les salaires ? Pas à l’ordre du jour ! Donner un droit d’intervention aux salariés ? Pas question, irrecevable ! Conditionner le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ? Pas de réponse ! Apporter de la transparence et encadrer les rémunérations des hauts revenus et les dividendes ? Votre réponse : « Vous n’y pensez pas, nous ne sommes pas en Union soviétique ! » (Sourires.)

Mme Françoise Gatel. C’est vrai !

M. Fabien Gay. Au terme de cette discussion, on ne sait plus, in fine, si ce texte sert l’intérêt général ou des intérêts particuliers !

Comment comprendre que nous ayons passé près de deux heures de débat pour renforcer la place de Paris au bénéfice de quelques centaines de traders londoniens qui seraient tentés de venir chez nous en raison du Brexit, alors que nous n’avons, à aucun moment, traité de la question de la relation entre donneurs d’ordres et entreprises sous-traitantes ? Pourtant, cette question concerne directement nos TPE et nos PME, qui, elles, représentent des centaines de milliers d’emplois dans le pays.

Les dégâts sont énormes avec ce nouveau texte : financiarisation accrue des entreprises, renforcement du secret des affaires via l’opacité des comptes, attaques contre nos mécanismes nationaux de solidarité et fragilisation des droits des salariés, changements de gouvernance pour la Caisse des dépôts et consignations et La Poste, ou encore casse des seuils sociaux.

Le Medef en rêvait, la droite ne l’avait pas fait, vous l’avez enfin réalisé ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Mettre à bas les seuils sociaux ! Cette mesure devrait autant participer à la création emploi que le CICE, c’est-à-dire à un niveau proche de zéro. (M. le ministre fait un geste de dénégation.) Mais vous avez réussi à faire croire que la présence syndicale, la représentation des salariés, un certain nombre de droits qui leur seraient concédés et les cotisations sociales constitueraient un frein au dynamisme de nos entreprises et à l’emploi.

C’est d’autant plus dogmatique que, en 2017, les 47 % d’entreprises interrogées par l’INSEE déclarant rencontrer des « barrières à l’embauche » les associaient davantage à l’incertitude sur la situation économique et à la difficulté de trouver une main-d’œuvre qualifiée qu’à la suppression des seuils sociaux.

Un jour, monsieur le ministre, il faudra nous dire quelle est votre vision de la société. Une société où il n’y a en fait qu’une seule règle : l’absence de règles ! Vous prolongez les mesures prises dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 et vous détruisez notre système de solidarité nationale. Pour vous, la protection des salariés et les cotisations sociales sont insupportables et deviennent des obligations, des règles, des contraintes, dont les entreprises devraient être libérées, car elles empêcheraient l’embauche dans notre pays.

Pourtant, nous devrions être fiers de notre modèle social et le défendre plutôt que tout faire pour le tuer à petit feu. Le monde entier nous l’envie ! Les cotisations sociales permettent de remplir les caisses de la sécurité sociale, et nous savons bien qu’un salarié bien soigné et bénéficiant d’une protection sociale est un salarié compétitif.

Enfin, sur nombre d’articles, votre texte tombe à plat. Vous parlez d’intéressement et de participation sans parler de partage de richesses ni de salaires. Nous avons travaillé sur une légère refonte de l’épargne retraite, alors que, en ce moment même, M. Delevoye conduit une consultation pour mettre à bas notre système par répartition.

Vous évoquez le statut d’auto-entrepreneur sans, à aucun moment, mentionner le fait que ce statut est dévoyé par des plateformes comme Uber ou Deliveroo pour exploiter des jeunes sans protection sociale. Heureusement que, parfois, les tribunaux vont plus vite que le législateur pour considérer que ces jeunes sont des salariés à part entière.

Votre texte, monsieur le ministre, connaîtra le même sort que les cinq derniers qui étaient relatifs aux entreprises : il ne résoudra rien ! Au contraire, il aurait fallu écouter le murmure qui monte dans le pays : « Partagez le gâteau ! Partagez le gâteau ! Partagez le gâteau ! »

M. Bruno Sido. Quel gâteau ?

M. Vincent Éblé. Et la cerise ?... (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Fabien Gay. Je ne sais pas si c’est pour demain ou pour après-demain, mais ce jour arrive à grands pas. Les peuples en ont assez de souffrir pendant que d’autres accumulent des richesses. Alors, continuez à ne pas voir que ce système libéral s’écroule sous vos yeux et que l’espoir est revenu !

Comme le dit le poète Gibran Khalil Gibran, « les fleurs du printemps sont les rêves de l’hiver racontés le matin à la table des anges ». (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Que vienne vite ce printemps pour tous les peuples !

Le groupe CRCE votera contre ce texte.

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