Une nouvelle étape du démembrement de la République une et indivisible

Pardonnez-moi : je ne suis pas une cigogne… (Sourires.)

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom du droit à la différence territoriale, ce bricolage législatif, ni fait ni à faire, est une nouvelle étape de l’opération de démembrement de la République indivisible qui porte le nom de France. De cette entreprise ancienne, la loi NOTRe a marqué un temps fort, sans aller cependant jusqu’à autoriser des fiscalités indirectes à la demande. En l’espèce, c’est le cas : on innove !

Cette différenciation est assortie, comme d’habitude, du désengagement de l’État : transfert au nouveau département alsacien des routes nationales qui n’ont pas encore été transférées, des autoroutes, de l’enseignement des langues étrangères et des classes bilingues.

Si ce projet de loi est un prélude à l’acte III de la décentralisation, on peut craindre la suite. Rapiécer un habit qui est usé avant même d’avoir été neuf n’est certainement pas la solution !

Quand on se penche sur les détails du texte, on va de surprise en surprise.

Première surprise : il reprend le projet de fusion des deux départements alsaciens soumis sans succès à référendum il y a six ans. Revenir par la voie législative sur les décisions référendaires qui déplaisent devient une manie dans notre beau pays !

Deuxième surprise : sauf erreur de ma part, cette unique collectivité départementale d’Alsace devra cohabiter avec deux administrations territoriales de l’État. Curieuse innovation, curieuse simplification !

Troisième surprise : la législation actuelle permettant déjà de déployer la coopération internationale, on ne voit pas bien ce qu’apporte la création de la nouvelle organisation, pas plus qu’on ne voit en quoi nommer l’entité concernée « chef de file » de la coopération transfrontalière facilitera sa coopération avec la région Grand Est, laquelle est notamment chargée de l’élaboration du schéma régional de développement touristique.

M. Jean-Marc Todeschini. Eh oui !

M. Pierre-Yves Collombat. Non ! La vraie solution permettant de concilier différenciation territoriale et unité nationale consiste à revenir à notre tradition administrative, qui a toujours su garantir la place des petites nations locales dans la grande nation : revenir, donc, sur un découpage régional dont personne ne veut, parce qu’il est incompatible avec les réalités des territoires, et revenir sur la répartition bureaucratique des compétences entre régions et départements, sur la suppression de la compétence générale des départements, sur les boursouflures qui ont complexifié la gestion locale en augmentant la dépense publique au lieu de la faire baisser – on attend toujours les 20 milliards d’euros d’économies qui avaient été annoncés !

Contrairement à ce qui se colporte, le jacobinisme français n’est pas qu’un centralisme : c’est un étrange mélange de centralisme et de liberté locale qui fait de la France le pays où l’échelon territorial de proximité, la commune, dispose de l’autonomie la plus grande. À ceux qui en doutent, je conseille d’aller voir ce qui se passe en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux États-Unis d’Amérique. Pierre Grémion l’a montré il y a bien longtemps : dans le système administratif classique, le préfet et son administration ne sont pas que la courroie de transmission de l’État central ; ils sont aussi les porte-paroles des territoires et de leurs élus auprès de l’État, État qui, à la différence de sa version libérale actuelle, disposait alors, dans ledit système, de moyens d’intervention financiers et d’ingénierie.

Les lois de décentralisation de 1982 et 1983, puis celles relatives à la coopération intercommunale volontaire de projet, à partir de 1992, viendront renforcer ce « pouvoir périphérique », pour reprendre l’expression de Pierre Grémion. C’est cet édifice administratif solide et efficace que les réformes des quinquennats Sarkozy, Hollande et Macron ont voulu démonter, alors que c’est le contraire qu’il aurait fallu faire.

En l’espèce, respecter la spécificité alsacienne passe non pas par la création d’une collectivité à usage particulier, mais par un redécoupage régional permettant de garantir un tel respect, ce qui est déjà possible dans l’état actuel de la législation. J’ai cru d’ailleurs comprendre que telle était aussi la position de bon nombre de collègues alsaciens.

Selon Jérôme Fourquet, la France serait devenue un archipel d’iles et d’îlots sans liens entre eux, une nation multiple et divisée, autant dire autre chose qu’une nation.

N’entendant pas participer à cette entreprise de destruction de l’unité nationale, le groupe CRCE votera contre ce projet de loi ni fait ni à faire, mais bien révélateur des intentions de ses auteurs.

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