Le périmètre des dépenses est un casse-tête, un labyrinthe où se perdent de nombreux candidats

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, mais répétons-le : il s’agit d’une proposition de loi qui clarifie et simplifie le droit électoral. Elle ne peut donc qu’être soutenue.

M. André Gattolin. Bravo !

M. Pierre-Yves Collombat. Premier exemple de simplification : la dispense de l’obligation de dépôt d’un compte de campagne pour les candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages. Je défendrai un amendement tendant à étendre cette disposition aux candidats qui, ayant obtenu moins de 5 % des suffrages, n’ont ni bénéficié de dons ni engagé beaucoup de frais au cours de leur campagne. Il s’agit d’éviter les manœuvres de dispersion. On peut très bien n’avoir aucune chance d’être élu et empêcher, par des manipulations, d’autres de l’être…

M. André Gattolin. C’est vrai !

M. Pierre-Yves Collombat. Faute d’électeurs, il faut avoir de l’argent. En réglant le problème, nous pourrons limiter les dégâts.

Un autre exemple de simplification et clarification est beaucoup plus intéressant et important pour moi : la suppression de l’automaticité de la peine d’inéligibilité qui existe actuellement pour certains types de manquements seulement. N’en déplaise aux moralistes impénitents, cette disposition me semble d’autant plus judicieuse que l’évaluation des comptes de campagne est loin d’être une science exacte, comme on va le voir.

D’abord, le volume des dossiers à examiner dans le temps d’examen imposé ne met pas la CNCCFP à l’abri des erreurs et des approximations hâtives. Ainsi, lors des élections législatives de 2017, elle a dû contrôler 5 427 comptes de campagne en l’espace de six mois, l’examen des cas ayant fait l’objet d’une saisine du juge électoral étant traité en deux mois.

Les délais d’instruction sont donc réduits. En plus, il faut respecter le principe du contradictoire : les candidats mis en cause doivent pouvoir répondre aux observations de la CNCCFP.

Surtout, le périmètre des dépenses électorales à prendre en compte est un casse-tête, un labyrinthe dans lequel se perdent beaucoup de candidats, malgré les trente pages du guide du candidat et du mandataire.

Ainsi, le déjeuner d’une équipe de campagne ne constitue pas une dépense électorale, car il n’a pas d’effet direct sur les électeurs. À l’inverse, si l’équipe de campagne invite un journaliste à sa table, la dépense doit être déclarée à la CNCCFP. (Sourires.)

Côté recettes, les « concours en nature » sont particulièrement difficiles à cerner. Les services rendus à titre gratuit par des militants ne sont pas intégrés au compte de campagne, mais il faut prendre en considération leurs frais de déplacement, ainsi que leur action lorsqu’elle est en « lien direct » avec leur activité professionnelle.

Autre problème : lorsqu’une entreprise casse ses prix, s’agit-il d’un simple rabais, alors légal, au profit d’un candidat ou d’un don d’une personne morale, ce qui est illégal ? La CNCCFP admet des rabais commerciaux allant jusqu’à 20 % du prix du marché. Mais comment calculer ce dernier, notamment dans le secteur de la communication ?

Lors d’une audition réalisée dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, le président de la CNCCFP m’a confirmé que le coût des prestations de communication évoluait substantiellement en fonction du moment de la campagne, du délai de livraison et des éventuelles économies d’échelle ; c’est le même problème s’agissant de l’évaluation des marges facturées par les « ensembliers » qui organisent les meetings tout en faisant appel à des centaines de sous-traitants dont les factures ne sont communiquées ni aux candidats ni à la Commission.

Lors de la dernière élection présidentielle, pour la première fois, la CNCCFP a eu recours à des experts – cela a été évoqué tout à l’heure – pour évaluer les dépenses de campagne dans différents domaines : la seule chose sur laquelle ils se sont accordés, c’est qu’il était impossible de définir un prix du marché pour certaines prestations !

Je souhaite formuler une observation subsidiaire. Que se passerait-il si le rejet du compte de campagne du vainqueur de la présidentielle aboutissait à une saisine du procureur ? Réponse du Conseil constitutionnel en 1995 : quelle que soit la grosseur des irrégularités, il vaut mieux valider le compte sans aller plus loin. C’est donc le compte de Jacques Cheminade qui a été rejeté, avec ce que cela signifie d’ennuis pour lui ! Au cas où vous l’auriez oublié, mes chers collègues, le président du Conseil constitutionnel était Roland Dumas et le Président de la République élu était Jacques Chirac. Mais imagine-t-on l’effet politique de l’invalidation d’un Président confortablement élu et son remplacement par un candidat qui n’aurait pas rassemblé la majorité des voix ? En l’occurrence, sauf erreur de ma part, il se serait agi du candidat arrivé en troisième position, puisque le compte de campagne du candidat arrivé deuxième aurait lui aussi dû être rejeté. C’est politiquement invraisemblable !

Par ailleurs, la jurisprudence de la CNCCFP est aussi à géométrie variable. Ainsi, lors de l’audition évoquée précédemment, le président de la Commission a reconnu que celle-ci n’avait pas saisi le procureur de la République pour un candidat à l’élection présidentielle de 2012 dont le compte de campagne avait été rejeté pour dépassement du plafond des dépenses électorales. Pourtant, elle le fait dans d’autres circonstances…

Au final, la proposition d’Alain Richard me paraît donc sage. À la CNCCFP de juger de la régularité de comptes de campagne difficiles à établir avec certitude : elle le fait honnêtement, avec les moyens dont elle dispose et les risques inhérents à ce genre d’exercice. Au juge le pouvoir de décider si des suites pénales doivent être données aux infractions constatées et, si oui, lesquelles. Ce n’est que prudence et justice.

C’est pour cela que le groupe CRCE votera en faveur de cette proposition de loi.

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