On substitue au temps long de l’action publique une vision de court terme

Cet article institue les fameux contrats de projet, pendants pour la fonction publique des contrats de chantier du secteur privé. Ces contrats, dont le champ a été élargi par la commission des lois, puisqu’ils concernent dorénavant l’ensemble des catégories A, B et C, entérinent une précarité accrue pour les contractuels qui seront ainsi engagés.

Monsieur le secrétaire d’État, dans le secteur privé, ce dispositif est réservé au recrutement des ingénieurs et des cadres. Pouvez-vous nous dire en quoi un agent recruté comme brancardier ou agent de l’état civil s’inscrit dans un tel projet ?

La commission a également précisé la fin de ce contrat comme étant la fin du projet, ce qui permet utilement de s’exonérer de toute référence à une fin de contrat anticipée. Une telle définition accroît la précarité subie par les agents, car ils ne pourront pas bénéficier de l’indemnité de fin de rupture à laquelle ils auraient normalement pu prétendre.

Pour l’heure, ce que recouvrent les notions de projet ou d’opération n’est pas non plus précisé, comme le souligne dans une interview intéressante une avocate spécialiste de la fonction publique. Elle s’interroge ainsi sur le fait que la création d’un service puisse être qualifiée de « projet ». En tout état de cause, elle souligne à raison les risques de conflictualité accrus devant le juge, face à une telle faiblesse de définition de ces nouveaux contrats. Il est en effet fort à craindre que l’intégralité des effectifs affectés à la réalisation du projet en question seront recrutés sous ce type de contrat, du chef de projet aux exécutants, puisque l’ensemble des catégories sont dorénavant concernées.
Il s’agit d’une manière évidente de contourner la législation actuelle sur le recours aux contractuels, qui reste encadré, et les fonctionnaires. Il s’agit tout aussi clairement d’un changement de paradigme, substituant au temps long de l’action publique et à sa permanence la mission spécifique inscrite dans une durée limitée. On se situe donc dans une conception des services publics d’usage plutôt que de l’offre.

Précisément pour la fonction publique territoriale, le fait que ces nouveaux contrats de projet puissent couvrir une période de six ans, soit le temps d’un mandat, nous semble extrêmement pernicieux et inquiétant : mon collègue Pascal Savoldelli l’a souligné, ces dispositions nous exposent à des dérives, qui porteraient une atteinte très forte à la continuité de l’action territoriale.
Madame la rapporteur, pour justifier l’appui de la majorité sénatoriale à cette mesure, vous affirmez que près de 80 % des élus consultés sont pour un tel dispositif. Nous trouvons l’argument un peu court, au regard des risques juridiques induits par le champ trop large de ce dispositif et par la nocivité d’un recours généralisé à ces pratiques. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

Retour en haut