Cette agence ne pourra pas pallier le désengagement de l’État

Cette agence ne pourra pas pallier le désengagement de l'État - Agence nationale de la cohésion des territoires (nouvelle lecture)

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture, à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, la proposition de loi d’initiative sénatoriale créant une Agence nationale de la cohésion des territoires, présentée par le Gouvernement comme l’outil d’un nouvel acte de décentralisation. Il s’agit d’un sujet important.

Je dirai d’abord quelques mots de la méthode employée. Vous le savez, mes chers collègues, nous regrettons le recours à une proposition de loi pour créer cette agence : cela nous prive d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État. Comment nous satisfaire de légiférer à l’aveugle, alors que tous les arbitrages sur les moyens et les contours de cette agence n’ont pas été rendus ?

Ce flou politique vient se télescoper avec la réforme de l’État en cours, qui trouve sa traduction dans les circulaires du Premier ministre appelant à plus de déconcentration et à la suppression des services publics de proximité, ou encore dans le projet de loi de transformation de la fonction publique, qui organise la privatisation de l’appareil de l’État et un grand plan social dans la fonction publique.

Pour l’ensemble de ces réformes, et particulièrement en vue de la création de cette agence, nous pensons que de nombreuses consultations des élus et de la population auraient dû être menées dans les territoires, au plus près des besoins et des réalités.

Au terme de nos débats, nous avons donc le sentiment d’un rendez-vous manqué, d’un texte qui passe à côté des enjeux et des attentes.

Pourtant, le besoin d’ingénierie est criant, notamment dans les territoires ruraux, et ce encore plus depuis la suppression de l’Atesat, l’assistance technique fournie par les services de l’État.

Lors du premier passage de ce texte devant le Sénat, en novembre dernier, notre groupe a fait le pari du débat et de l’intelligence collective au service des territoires. Nous avons ainsi formulé de nombreuses propositions sur les missions, la composition et les modalités d’action de cette agence. Sans obtenir gain de cause sur tout, nous avons participé à l’élaboration d’un texte sénatorial intéressant.

Malheureusement, loin d’enrichir le texte, l’Assemblée nationale en a raboté la portée et a supprimé les avancées adoptées par le Sénat. En définitive, l’agence aurait pour seule fonction de jouer un rôle de guichet unique pour les collectivités, avec l’unique ambition de mutualiser les moyens existants. Ce serait une agence au périmètre restreint, mais pouvant contractualiser avec l’ensemble des opérateurs de l’État et agir sur les services de l’État et leurs directions déconcentrées.

Nous estimons, pour notre part, que l’État ne peut être cantonné au seul rôle de prestataire : il est aussi le garant de l’égalité républicaine, pour tous et partout, ou du moins il devrait l’être.

Les politiques successives de réduction de l’action de l’État marquent un renoncement à cette égalité républicaine. Baisse des dotations, fermeture d’hôpitaux, de maternités, de classes, de bureaux de poste, de gares, suppression de l’ingénierie publique territoriale : on assiste à un renforcement constant des inégalités sociales, environnementales et territoriales. Les territoires sont pourtant des acteurs majeurs de la transition écologique, énergétique et sociale, de la lutte contre le réchauffement climatique, qui sont notre priorité, la priorité !

Il s’agit d’une véritable contradiction avec l’ambition affichée : comment faire mieux dans ces conditions ? Cette agence ne pourra pallier, comme par enchantement, le désengagement de l’État en matière de politiques d’aménagement des territoires.

Cet outil placera, encore une fois, les collectivités en compétition pour obtenir en même temps une aide d’ingénierie et des subsides ; ce n’est pas notre conception de la relation entre l’État et les collectivités. Bien loin des objectifs affichés, ce sont les plus grandes collectivités, qui disposent déjà d’ingénierie et de services spécialisés à même de décrypter les rouages du système, qui en seront les premières bénéficiaires. C’est un contresens au regard des missions que cette agence est censée remplir au profit des territoires les plus fragiles, même si je salue la prise en compte des spécificités des territoires de montagne.

Si l’échelon intercommunal est pertinent, nous regrettons que les communes ne puissent pas saisir directement l’agence. Nous avions déposé un amendement en ce sens.

Concernant la composition du conseil d’administration de l’agence, la suppression par l’Assemblée, avec l’aval du Gouvernement, d’une représentation égalitaire des élus et de l’État, qui relève pourtant du bon sens, est regrettable. Même si un processus de double délibération, utilement renforcé par notre commission, est mis en œuvre, l’État garde finalement la main sur tout et l’on tourne le dos à un rapport équilibré. Nous sommes bien loin d’une décentralisation renforcée et du renouvellement d’un pacte de confiance avec les élus locaux.

Une autre déception tient à la suppression de notre apport concernant la prise en compte, dans les missions de cette agence, de la lutte contre la pollution des sols. C’est pourtant un problème majeur pour les territoires, la santé publique et l’environnement.

L’agence, à moyens constants, ne pourra manifestement pas répondre à la demande : j’en veux pour preuve les baisses de budget et de moyens des entités devant la composer. Il en va de même pour les opérateurs associés par convention : je pense notamment au Cérema, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, qui va perdre un quart de ses effectifs.

L’agence aura des missions tellement larges qu’il est difficile d’en définir les priorités. Dans le même temps, on relève un nouveau recul de la décentralisation, puisque le préfet devient le pivot de toutes les politiques de l’État dans les territoires. C’est une manière de revenir à la verticalité dans l’utilisation des subsides de l’État.

En définitive, il s’agit bien plus d’une réforme de l’organisation de l’État dans les territoires que d’un nouvel acte de décentralisation fondé sur la libre administration des collectivités et leur autonomie financière.

Je veux encore exprimer une autre inquiétude. Alors que le Sénat avait voulu préserver les ressources de l’ANRU et, plus globalement, les crédits de la politique de la ville, l’Assemblée nationale a supprimé cette mesure. Il serait inconcevable d’affaiblir la politique de la ville, ou ce qu’il en reste, pour alimenter la nouvelle agence.

Faute d’ambition politique et de moyens suffisants, nous craignons donc que l’Agence nationale de la cohésion des territoires devienne un « machin » supplémentaire, une simple coquille vide.

Malgré toutes ces remarques de fond, et pour tenir compte de la volonté d’équilibre du Sénat, concernant notamment la prise en compte des représentants des élus locaux dans le processus de décision, nous nous abstiendrons sur ce texte, lançant ainsi un appel à l’Assemblée nationale pour qu’elle revoie sa copie.

Retour en haut