Nos artistes doivent pouvoir vivre de leurs arts

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la France possède une culture riche, pluriséculaire, qui est probablement l’une des plus belles au monde. Elle est un haut lieu de l’art depuis la Renaissance, et – je le rappelle à mon tour – Paris a longtemps tenu la première place du marché de l’art mondial.

Pourtant, depuis les années 1960, le marché de l’art français est sur le déclin. Avec 5 % à 6 % de parts de marché à l’échelle mondiale,…

M. François Bonhomme. Même pas !

Mme Esther Benbassa. … et 19 % à l’échelon européen, la France se situe à la quatrième position, loin derrière les États-Unis – 43 % –, le Royaume-Uni – 21 % – et la Chine – 19 %.

Les raisons en sont multiples et touchent aux domaines artistique, fiscal et administratif.

Premièrement, en matière artistique, la France n’arrive plus à produire suffisamment d’œuvres répondant aux attentes du marché mondial de l’art. Sa politique culturelle s’est détournée de l’art pictural pour embrasser, à partir des années quatre-vingt, un art conceptuel qui n’a trouvé que relativement peu de débouchés sur la scène mondiale.

Deuxièmement, en matière fiscale, la France n’a pas mis en place de mécanismes suffisamment incitatifs pour que le mécénat vienne compenser l’investissement public, lequel recule depuis plusieurs décennies. La loi Aillagon de 2003 avait pourtant réformé les modalités des dons des particuliers, du mécénat des entreprises et de la fiscalité des fondations. Mais, de toute évidence, ce n’était pas suffisant pour que le secteur privé assure le maintien d’une véritable politique culturelle de qualité, là où l’État devenait défaillant.

Le Conseil des ventes volontaires, ou CVV, pose un problème de taille. Dès sa création, en 2011, les élus du groupe CRC ont alerté quant aux difficultés que pouvait causer une autorité de régulation venant libéraliser le marché de l’art. Cette mesure a permis de faire la part belle aux grandes maisons de vente mondialement célèbres, au détriment des petites maisons françaises.

La présente proposition de loi a pour mérite de vouloir renforcer la présence des professionnels du marché de l’art au sein du CVV. L’institution devrait ainsi faire le lien entre les artistes et les autorités de régulation, à l’image du ministère de la culture.

Néanmoins, on peut s’interroger sur cette injonction : pourquoi vouloir faire de Paris une place primordiale sur le marché mondial de l’art ? Profondément spécifique, le tissu artistique français est peut-être antagonique d’une vision libérale et concurrentielle. Surtout, le fait de gagner une place de choix, tant prisée sur le marché mondial, ne garantit pas une prospérité économique pour des centaines d’artistes français qui n’arrivent pas aujourd’hui à joindre les deux bouts. (M. François Bonhomme manifeste sa circonspection.)

Nos artistes doivent pouvoir vivre de leur travail et être soutenus dans ce sens. À cet égard, la France possède un potentiel hors du commun : sa capitale dispose d’un des maillages de galeries d’art les plus denses au monde, et le savoir-faire de ses musées est reconnu internationalement, au point que certains d’entre eux possèdent des antennes culturelles à l’étranger, à l’image du Centre Pompidou à Shanghai, ou encore du Louvre d’Abu Dhabi.

Accroître le rayonnement culturel de la France dans le monde est un objectif souhaitable, certes, mais pas suffisant. Ainsi devons-nous valoriser nos filières artistiques ; permettre une saine émulation entre nos jeunes talents, par la création d’un concours national inspiré du Turner Prize britannique ; mettre en place encore plus d’événements dédiés à l’art, sur le modèle de ce que nous faisons pour le cinéma à Cannes, ou pour la bande dessinée à Angoulême. Exigeons également l’exposition de plus d’artistes français contemporains dans nos musées.

Seule une réforme de grande ampleur permettra à l’art français de retrouver son influence d’antan. Le présent texte contient un ensemble de dispositions intéressantes ; mais ces dernières sont bien timorées, et elles ne suffiront pas à atteindre cet objectif. En l’état, les membres du groupe CRCE s’abstiendront !

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