Déroger à des normes législatives est tout à fait discutable

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution part certainement d’une intention louable : pérenniser les dispositions du décret du 29 décembre 2017, qui met en place l’expérimentation, sur quelques territoires choisis, d’un droit de dérogation des préfets à adapter la réglementation aux situations locales.

Elle entend aussi, avant même de disposer d’un corpus suffisant de résultats de l’expérimentation en cours, élargir le domaine de cette expérimentation et populariser les exemples de dérogations réussies au titre de bonnes pratiques, ce qui nous paraît, cette fois, plus discutable.

Je résumerai simplement mon propos.

Premier point, le décret lançant l’expérimentation de ce droit préfectoral à déroger aux normes réglementaires est bienvenu et d’ailleurs étonnamment clair, je dois le dire. À l’heure actuelle, si mes informations sont bonnes, environ 140 arrêtés de dérogation auraient été pris, et un seul fait l’objet de contestation.

Il semble aussi – si je me trompe, M. le secrétaire d’État nous le dira – que ces dérogations portent, dans l’ensemble, plus sur la procédure, comme la réduction de la durée d’une enquête publique, sous peine de faire échouer un projet localement important, ou la mise en application anticipée de dispositions d’un plan de prévention des risques d’inondation, un PPRI. Les choses ont plus été modifiées sur la forme, la procédure, que sur le fond, ce qui me paraît vraiment constituer la piste de recherche à privilégier.

Deuxième point, si la création, prévue par la proposition de résolution, d’une instance départementale autour du préfet et composée de représentants des collectivités territoriales est bienvenue dans la mesure où ces élus sont peut-être les mieux placés pour repérer les domaines dans lesquels une adaptation de la réglementation serait souhaitable, cette instance ne saurait être, selon nous, transformée en instance d’expertise et encore moins en instance de décision, ce qui n’est pas clairement indiqué dans les préconisations.

Dans le même ordre d’idée, on pourrait fragiliser le dispositif en élargissant les possibilités de dérogation à des questions sans lien avec des difficultés et des spécificités locales ou en accordant aux collectivités le pouvoir de déroger aux décisions législatives. Cette idée m’a quelque peu étonné, mais enfin, il faut être moderne !

En outre, contrairement à ce qu’on croit et ce qu’on dit, les bonnes pratiques sont rarement généralisables et leur réussite suppose le plus souvent des conditions locales très particulières. En faire la publicité avant une expérimentation suffisamment large me semble donc un peu risqué.

Troisième point, je crains que tout l’appareil prévu par la proposition de résolution afin d’affermir juridiquement les décisions dérogatoires prises pour sécuriser les préfets et les inciter ainsi à se saisir de ce nouveau droit n’ait l’effet inverse : refroidir toutes leurs velléités d’innovation. Certes, celles-ci existent, certains préfets me les ont exprimées, mais tous n’en ont pas.

Restons simples, ne compliquons pas, commençons par élargir le champ de l’expérimentation, et peut-être alors, quand nous disposerons d’un corpus suffisant, serons-nous en mesure de préciser comment généraliser utilement les effets de cette expérimentation. Je recommanderais d’élargir l’expérimentation en cours, qui semble avoir donné des résultats tout à fait intéressants dans un nombre significatif de départements, pour pouvoir en tirer des conclusions réellement incitatives.

Nous mesurons l’intérêt de la question et l’opportunité de l’avoir soulevée, mais nous avons quelques différences d’appréciation sur les préconisations. Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe CRCE s’abstiendra sur cette proposition de résolution.

Retour en haut