Les élus locaux sont à bout face à l’érosion de leurs marges de manœuvre

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le titre des propositions de loi que nous examinons aujourd’hui, « pour le plein exercice des libertés locales », nous amène inévitablement à questionner ce périmètre.
Commençons par ce qui nous rassemble et par ce que nous partageons.
Nous partageons tout d’abord le constat des résultats désastreux des réformes qui se sont enchaînées, tant de l’organisation des collectivités que de la fiscalité locale. Au cours des dernières années, les principes de libre administration et d’autonomie financière des collectivités ont été méprisés par les gouvernements.

La réforme de la taxe d’habitation, puis la baisse de la fiscalité économique locale proposée dans le projet de loi de finances pour 2021 se situent malheureusement dans cette droite ligne.

Les élus locaux sont à bout face à l’érosion de leurs marges de manœuvre et face au comportement autoritaire du Gouvernement, qui leur impose cette austérité budgétaire. Aucune collectivité ne se satisfait de cette situation, madame la ministre. Chacune essaie pourtant de s’en sortir tant bien que mal, mais, au final – nous le savons –, ce sont nos concitoyens qui demain paieront plus pour avoir accès aux mêmes services publics locaux.

Puisque nous nous retrouvons sur ces constats, nous partageons aussi une partie des solutions. Tout d’abord, la reconnaissance dans la Constitution de la clause générale de compétence des communes est une bonne chose.
Depuis quelques années, cette clause est régulièrement mise à mal. Elle a d’ailleurs été supprimée pour les départements et les régions, ce qui est fort regrettable – nous le mesurons davantage encore à l’aune des interventions nécessaires pour faire face à la crise sanitaire.

Réaffirmer cette clause pour les communes va dans le bon sens ; nous l’avons d’ailleurs toujours défendue.

Cette clause de compétence assure aux élus locaux de l’espace, de la liberté pour innover, adapter sur le terrain tout en restant dans le cadre républicain de l’égalité des citoyens devant la loi. Car oui, monsieur Ravier, la loi est la même pour tous et partout en République. Cela ne remet pas en cause la libre administration des collectivités territoriales, mais garantit à chacune et à chacun, quelle que soit sa condition sociale et territoriale, d’être un citoyen de la République. Je note d’ailleurs que M. Ravier, bien que passionné par les collectivités territoriales, nous a déjà quittés…

Indissociable de la liberté locale, l’autonomie financière est le levier d’action des élus : sans finances, il n’y a pas de compétences. Les coupes dans les ressources propres sont depuis trop longtemps dissimulées de manière artificielle par le remplacement d’impôts locaux avec un pouvoir de taux par des compensations et transferts de parts d’impôts nationaux.

Nous évoluons vers une fiscalité locale recentralisée, qui est non plus un outil budgétaire dans les mains des élus, mais un outil d’assujettissement du Gouvernement. Sans capacité d’action locale ni maîtrise des ressources financières, le lien entre citoyens et élus locaux s’étiole, et la démocratie locale, vidée de toute concrétisation, perd tout son sens.

Ne nous cachons pas derrière la crise sanitaire pour expliquer les faibles taux de participation aux élections municipales : ils s’expliquent par l’incapacité dans laquelle les élus locaux se trouvent aujourd’hui à répondre aux besoins de plus en plus urgents de leurs concitoyens.

Dans ce partage des constats et des solutions, il y a toutefois un « mais ». Prudents, il nous faut l’être sur le périmètre de ce que chacun nomme « libertés locales » et sur ce que nous sommes tentés d’y faire entrer : à chacun sa définition, certes, mais il nous faudra in fine en avoir une définition commune.
La crise actuelle a créé une tension inévitable et incontestable entre le local et le national. L’action et la communication gouvernementales ont beaucoup déçu. De nombreux élus et citoyens se sont retrouvés démunis, et encore aujourd’hui, madame la ministre, face à l’absence de concertation pour l’instauration du couvre-feu.

Des velléités d’indépendance accrue ont donc pu se développer dans ce climat prônant un pouvoir local plus apte que le national à réagir. C’est souvent vrai, mais de telles demandes peuvent aussi se trouver mêlées aux désirs et particularismes locaux qui menacent le cadre républicain d’unicité et d’indivisibilité de la France, d’où le besoin de plus de décentralisation, mais aussi de plus de République, de plus de déconcentration pour sécuriser l’action des élus locaux.

C’est dans ce contexte que vous proposez d’introduire les concepts de représentation équitable des territoires et de différenciation territoriale. Les débats à ces sujets sont légitimes et doivent nourrir notre réflexion.
La différenciation que vous proposez de développer par l’attribution de compétences différentes aux collectivités et la possibilité de déroger aux lois et règlements nationaux nous paraissent dangereuses en l’état. Comme l’indiquent les auteurs des propositions dans l’exposé des motifs, cela aboutira à moins de normes, à moins de contraintes,…

M. le président. Il faut conclure, chère collègue.

Mme Cécile Cukierman. … mais aussi – j’en termine, monsieur le président – à moins de protection pour les citoyens. Il y a donc de réels risques de ne plus contrôler ce que la différenciation créera.

En cette période compliquée, la prudence nous semble donc être le maître mot. C’est pourquoi, en l’état, le groupe CRCE votera certains articles, mais il ne votera pas ces propositions de loi.

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