Nous refusons d’accorder un blanc-seing à un pouvoir incapable de lutter efficacement contre la pandémie

Nous refusons d'accorder un blanc-seing à un pouvoir incapable de lutter efficacement contre la pandémie - Prorogation de l'état d'urgence sanitaire (Cottonbro - https://www.pexels.com/fr-fr/@cottonbro)

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant toute chose, je veux souligner l’incohérence de nos travaux, signe d’un profond mépris du pouvoir exécutif à l’égard du Parlement.

Nous allons débattre des principes de l’encadrement juridique de la prorogation de l’état d’urgence, alors que, il y a quelques instants, notre assemblée était amenée à se prononcer sur les nouvelles décisions du Président de la République, et de lui seul, organisées, mises en place dans ce cadre juridique que le Sénat n’a donc pas encore approuvé.

Bien sûr, l’urgence, l’explosion de l’épidémie exigent de réagir vite, mais nous ne sommes plus en février ou en mars. Nous aurions pu en discuter en amont. D’ailleurs, nous avions demandé, avec d’autres, un débat sur le rétablissement par décret de l’état d’urgence sanitaire. Les parlementaires, madame la ministre, ont des choses à vous dire : l’emballement du virus, ce sentiment que le couvre-feu ne répondait pas à l’urgence de la situation, et bien d’autres choses, que je ne développerai pas ici. Il est donc grand temps de sortir de la verticalité, de l’organisation jupitérienne du pouvoir. Les événements actuels, les échecs successifs, de la pénurie des masques jusqu’aux ratages des tests et du couvre-feu, appellent un tournant démocratique dans la lutte contre le covid-19.

Avec ce projet de loi, c’est une nouvelle fois le Parlement qui est contraint. Le texte visait, avant son examen par la commission des lois, à proroger pour quatre mois l’état d’urgence sanitaire, sans retour devant le Parlement durant cette période. Le Gouvernement proposait même de prolonger cet état d’exception par un autre état d’exception, le fameux régime de sortie d’état d’urgence, nouveau genre inauguré le 11 juillet dernier, et ce jusqu’au 1er avril prochain. Nous estimons que cette démission démocratique au profit d’un pouvoir personnel n’est pas acceptable et qu’elle peut même s’avérer dangereuse pour notre peuple, vu la situation actuelle.

Pour y faire face, nous proposons, comme nous l’avions fait dès le 19 mars dernier, de revenir à une validation législative au terme de douze jours, et non d’un mois, des décrets d’état d’urgence, et que la présente prolongation soit ramenée à un mois. Nous irons même plus loin, au regard de l’expérience, en proposant que ce soit le Parlement qui décide de l’état d’urgence, sur proposition du Gouvernement.

Monsieur le rapporteur, nous avons noté votre émoi à l’annonce du couvre-feu, mais nous constatons que vos propositions s’arrêtent au milieu du gué.

M. Philippe Bas, rapporteur. Ah !

Mme Cécile Cukierman. Vous ramenez en effet à trois mois, au lieu de six, l’état d’exception, sans vous attaquer selon nous totalement à la source du malaise démocratique, c’est-à-dire aux conditions du déclenchement de l’état d’urgence.

Dans la peur du moment, notre peuple subit ces mesures, qui peuvent être ponctuellement nécessaires, mais il faut repousser toute tentation autoritaire, qui peut s’appuyer sur l’habitude de la contrainte.

Enfin, nous nous opposons frontalement à l’extension de la législation par ordonnances. Madame la ministre, depuis le 23 mars dernier, 66 ordonnances ont été prises dans le cadre de l’état d’urgence, auxquelles il faut ajouter 22 autres, prises dans d’autres domaines. Ce projet de loi en prévoyait 70 nouvelles et, monsieur le rapporteur, vous les avez réduites à 30,…

M. Philippe Bas, rapporteur. Oui !

Mme Cécile Cukierman. … ce qui est encore trop à nos yeux. Aucune des ordonnances prises dans le cadre de l’état d’urgence n’a été à ce jour ratifiée. Peut-on continuer ainsi ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Non !

Mme Cécile Cukierman. Le débat peut-il s’accommoder d’une telle violation de la Constitution ? En tout état de cause, nous nous y opposerons, sur la forme comme sur le fond, notamment dans le domaine du droit du travail, parce que, dans ce projet de loi, comme dans celui dont l’examen a été interrompu voilà maintenant une semaine, un certain nombre d’ordonnances n’ont pas leur place.

Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, nous voterons contre ce texte, véritable blanc-seing accordé à un pouvoir, qui, en fermant la porte au débat démocratique, se prive d’un outil indispensable à une lutte efficace contre la pandémie.

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