Nous voterons ce texte, mais il demeure insuffisant

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi d’Annick Billon, soumise aujourd’hui à notre examen, prend une résonnance particulière à l’aune de l’actualité et des révélations de Camille Kouchner, révélations ayant conduit, comme il y a trois ans avec l’affaire Harvey Weinstein, à la libération de la parole et à des révélations plus larges et « universelles » sur les réseaux sociaux, derrière le hashtag #MeTooInceste.

Voilà comment des drames personnels expurgés du secret des cellules familiales et délivrés du sceau tacite du silence mènent à l’éclosion de sujets jusque-là encore tabous de notre société. Même si la prescription des faits est souvent de mise dans les affaires d’inceste, la libération de la parole travaillera à ce que ces comportements soient, sinon bannis, du moins dénoncés et considérés pour ce qu’ils sont : des interdits structurants de la société.

L’objet de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui n’est pas sans lien avec cette problématique, puisqu’elle vise à poser un interdit clair dans la loi : l’interdiction absolue de tout acte sexuel entre une personne majeure et un mineur de moins de treize ans, en instaurant dans le code pénal une nouvelle infraction autonome.

Cette proposition de loi, issue de l’actualité, moins récente mais non moins sordide, de l’affaire Julie, tire sa validité et sa recevabilité de deux éléments importants.

En premier lieu, il s’agir des droits de la défense et du respect du principe de présomption d’innocence.

Pour se défendre de cette infraction autonome, l’auteur des faits aurait la possibilité d’apporter la preuve qu’il ne pouvait connaître l’âge exact du mineur avec lequel il a eu une relation sexuelle. Cela vient répondre aux risques d’inconstitutionnalité notamment soulevés par le Conseil d’État dans son avis sur le premier texte du Gouvernement, en 2018, qui visait une présomption de non-consentement irréfragable.

En second lieu, il s’agit de la question du seuil d’âge à treize ans.

D’un point de vue juridique, cela nous paraît cohérent avec la présomption de non-responsabilité pénale des mineurs fixée à treize ans dans le futur code de justice pénale des mineurs.

D’un point de vue sociétal, c’est également cohérent avec le fait qu’une relation puisse être entretenue entre un ou une mineur de quinze ans et un ou une jeune majeur de dix-huit ou dix-neuf ans.

Enfin, l’âge de treize ans représente le seuil barrière infranchissable du monde de l’enfance.

En outre, le texte d’Annick Billon a été enrichi en commission des lois, notamment grâce à un amendement de la rapporteur, dont je salue la finesse et la précision du travail. Cet amendement est venu préciser la définition de viol, en indiquant que la contrainte morale ou la surprise, éléments constitutifs de l’infraction, peuvent résulter de ce que la victime mineure était âgée de moins de quinze ans et ne disposait pas de la maturité sexuelle suffisante.

Cette nouvelle indication est pour nous bienvenue et prend en compte la difficulté d’un seuil d’âge infranchissable et des « maturités variables » d’un adolescent à l’autre.

Cela dit, une fois précisés les points positifs qui conduiront notre groupe à voter cette proposition de loi, nous ne pouvons considérer la création d’une infraction autonome – aussi légitime soit-elle – comme une réponse suffisante à ce fléau des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

Tout le volet préventif doit être examiné en parallèle, et de toute urgence, avec le traitement de problématiques telles que la prévention et l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge, la formation des professionnels de l’enfance ou encore la question des moyens de la justice et de nos forces de l’ordre, mais aussi des moyens accordés aux centres de la protection maternelle et infantile (PMI) et au monde de l’enfance dans son ensemble.

De manière générale, ces infractions sont la résurgence d’un modèle sociétal millénaire : celui de stéréotypes archaïques et de la domination patriarcale qui continue à sévir, malgré l’évolution des mœurs et des lois, à l’encontre des femmes et des enfants. C’est pourquoi il paraît nécessaire qu’une délégation aux droits des enfants prenne toute sa place au sein de notre Parlement.

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