Ce texte est une étape importante, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après notre travail en première lecture sur la proposition de loi présentée par notre collègue Annick Billon, que je tiens une nouvelle fois à remercier, ce nouveau rendez-vous pour parfaire la protection des mineurs contre les crimes et délits sexuels était très attendu, d’autant que le travail du Sénat avait fait naître une polémique injustifiée dans les médias, du fait d’une interprétation erronée.

Les tabous sont levés, la cause des enfants victimes de ces violences sexuelles brise, fort justement, le mur du silence.

C’est notamment grâce aux associations de protection de l’enfance et aux nombreuses victimes qui ont continué à se battre. Elles ont démontré, à juste titre, la nécessité de faire évoluer notre droit pour une loi plus claire posant un interdit sans ambiguïté et, surtout, sans avoir à interroger le consentement prétendu de la victime.

L’interdit est clairement posé ici : aucun adulte n’a le droit d’avoir de rapports sexuels avec un ou une enfant ; fixation d’un seuil de 15 ans, reporté à 18 ans pour l’inceste. C’est une bonne chose, mais, malheureusement, ce seuil est assorti, en dehors de l’inceste, d’une condition d’écart d’âge de cinq ans pour prendre en compte la « clause de Roméo et Juliette ».

Même si nous avons bien compris que cet écart n’aurait plus lieu d’être dès lors qu’un des éléments classiques du viol serait présent, nous craignons que cette rédaction ne limite véritablement la portée de cette mesure et ne nous fasse retomber dans les mêmes débats autour du consentement.

En effet, 65 % des violeurs de mineur ont entre 18 ans et 24 ans et certaines victimes de 14 ans, par exemple, seront par conséquent moins bien protégées. Nous devons y réfléchir.

Par ailleurs, en première lecture, mon groupe avait déposé un amendement pour compléter la définition du viol et instaurer une présomption de contrainte, estimant que la création d’une infraction autonome sans jamais utiliser le mot « viol » posait problème.

L’ajout par l’Assemblée nationale de ce terme, et parce que les mots ont un sens, nous convient.

Si nous nous réjouissons que les débats à l’Assemblée nationale aient permis de considérer l’inceste non plus comme une circonstance aggravante, mais bien comme une infraction à part entière, vous proposez en quelque sorte de le « conditionnaliser » à la notion d’autorité, de droit ou de fait. N’est-ce pas une porte ouverte pour les agresseurs qui ne sont pas dans une situation d’autorité, de droit ou de fait ?

En revanche, notre groupe soutient sans réserve le nouveau délit créé pour des faits de « sextorsion », qui va plus loin que la corruption de mineur en s’adaptant à la réalité d’aujourd’hui, à savoir le tout-numérique et l’utilisation d’internet.

Enfin, nous soutenons le mécanisme créé de prescription glissante pour permettre la prolongation du délai de prescription en cas de nouvelles infractions, tout en entendant les réserves du Syndicat de la magistrature sur l’imprescriptibilité de fait.

En définitive, ce texte crée de nouvelles infractions allant du crime au délit pour essayer de couvrir un champ très large. Mais attention ! Attention à la complexité de tous ces dispositifs : le principe de lisibilité de la loi est ainsi sérieusement écorné, et il nous faut bien en mesurer les conséquences.

Mes chers collègues, ce texte est important : il est le fruit d’un long travail, notamment celui de Marie Mercier, que je veux saluer, d’un travail collectif pour améliorer ces définitions du viol et de l’agression sexuelle, qui ne pouvaient être les mêmes quand on parle de mineur.

Je regrette néanmoins que, tout en apportant de belles avancées, il affaiblisse parfois la portée du texte initial, en créant des dérogations.

De même je m’interroge sur la temporalité qui va pouvoir exister avec le travail sur l’inceste de la commission indépendante coprésidée par Édouard Durand ou celui du groupe de travail contre la prostitution des mineurs.

Mes chers collègues, au-delà du répressif et du suivi des auteurs, nous devons nous interroger sur le rapport de notre société à ce phénomène des violences faites aux enfants, agir sur les mentalités par l’éducation, la déconstruction des stéréotypes sexistes. C’est une urgence. Nous devons également prendre le temps d’évaluer les politiques qui sont mises en place, judiciaires, mais pas seulement : je pense notamment à la pratique de la correctionnalisation ou encore à l’accueil, à l’accompagnement des victimes, à la formation des professionnels.

Comment ignorer que les brigades locales de protection des mineurs sont en souffrance s’agissant des effectifs et des moyens ?

En attendant, cette loi est une étape importante dans la lutte pour protéger les enfants contre les délits et crimes sexuels, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Retour en haut