La gestion de moins en moins collective de cette pandémie a nui à l’efficacité de l’action

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la huitième fois depuis mars 2020, le Sénat est sommé de valider dans des délais extrêmement brefs un projet de loi lié à l’état d’urgence sanitaire.

La présidente de notre groupe, Éliane Assassi, vient d’exposer pourquoi nous considérons que tout cela vient porter, une nouvelle fois, de graves coups à la démocratie et aux libertés publiques.

Nous l’avions dit d’emblée : de toute évidence, la gestion de moins en moins collective de cette pandémie a nui à l’efficacité de l’action. La défiance à l’égard des institutions locales et la mise à l’écart du Parlement par cet état d’exception qu’est l’état d’urgence n’ont pas permis de prendre les bonnes décisions dans la concertation nécessaire ; cela reste vrai pour les succédanés de l’état d’urgence, comme ce régime de sortie, qui maintiennent la toute-puissance de l’exécutif.

Que dire de l’avènement du conseil de défense ? Il a écarté le conseil scientifique, dont les avis furent occultés, comme en janvier dernier, voire méprisés. Le conseil des ministres, lieu de délibération, se trouve ravalé au simple rang d’exécutant de ce conseil de défense, qui masque mal les décisions individuelles du Président de la République, passé de chef des armées à épidémiologiste en chef.

Ce débat précipité aurait dû permettre de faire le bilan de la gestion de la crise sanitaire et non pas seulement d’organiser sa sortie.

Aucune anticipation, aucun enseignement : des phases de confinement et déconfinement, avec parfois des injonctions contradictoires. Tout dépend, d’une part, de capacités hospitalières mises à mal par des années d’austérité de notre système de santé, et, d’autre part, des grands errements de la stratégie vaccinale, avec notamment l’incapacité, au pays de Pasteur, de développer et produire son propre vaccin : l’annonce d’un futur vaccin de Sanofi ne saurait nous faire oublier le sacrifice fait de sa politique industrielle et scientifique pour accroître les profits de quelques actionnaires. Où va l’argent, si ce n’est pour soigner les populations ?

La majorité sénatoriale et son rapporteur constatent ces errements et dénoncent ce énième tour de passe-passe du Gouvernement, qui maintient sans le dire un nouvel état d’exception, mettant pour de longs mois encore la démocratie sous le boisseau.

Mais elle ne va guère plus loin que ce constat, qui apparaît somme toute comme de l’affichage, puisque, finalement, mes chers collègues, vous prolongez d’un mois l’état d’urgence.

N’est-il pas temps d’affirmer clairement que nous ne sommes plus dans la situation d’urgence qui justifie l’état d’exception, mais que la gravité de la situation peut être prise en charge par la démocratie, c’est-à-dire, en premier lieu, par le Parlement ? Celui-ci peut délibérer, voter, refuser. Nous ne pouvons plus accepter cette infantilisation des institutions de la République.

Le pass sanitaire, sur lequel nous reviendrons dans la discussion des articles, exprime une précipitation dangereuse pour les libertés et préjudiciable d’un point de vue éthique. Le Parlement est une nouvelle fois mis devant le fait accompli, ou presque, et même le Conseil d’État a été écarté dans un domaine touchant aux libertés publiques.

Ce pass sanitaire, sous couvert de son encadrement dans le temps et l’espace, est une étape de plus dans les mesures de restriction des libertés publiques, alors que ce sont essentiellement les mesures sanitaires, et non juridiques, qui font reculer l’épidémie. Comment être sûr que ce pass ne sera pas, par la suite, élargi à d’autres usages, en prétextant l’urgence sanitaire ?

Je terminerai mon propos par l’organisation des élections départementales et régionales.

Nous nous retrouvons, quasiment un mois avant ces élections, à devoir examiner des dispositions qui auraient pu figurer dans la loi du 22 février dernier portant report de mars à juin 2021 de ces élections locales.

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est vrai !

Mme Laurence Cohen. Nous savions déjà, à cette date, que ces élections seraient différentes des précédentes et que la situation sanitaire impliquait des adaptations et des moyens nouveaux pour répondre à l’exigence démocratique du maintien des élections malgré tout.

Un consensus s’est fait en février dernier sur la tenue des élections en juin ; ce choix impliquait l’organisation de ces scrutins et de cette campagne singulière.

Au Sénat, en février dernier, de nombreuses mesures de bon sens ont été adoptées sur l’organisation du scrutin et de la campagne, comme l’obligation pour les services audiovisuels d’informer les citoyens sur le rôle et le fonctionnement des conseils régionaux et départementaux. Elles ont été conservées en commission mixte paritaire, à l’inverse de la mesure concernant la diffusion de spots de campagne pour les candidats aux élections régionales.

Le Premier ministre semblait sur la bonne voie lorsqu’il nous annonçait, le 14 avril dernier, qu’un débat entre les candidats aux élections régionales serait organisé et diffusé sur les services audiovisuels avant chaque tour. Cette mesure était bien dans le texte original du projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Pourtant, la majorité présidentielle l’a fait disparaître en commission.

Il faut rétablir ces débats. On sait que les Françaises et les Français sont actuellement bien loin de ces enjeux, préoccupés qu’ils sont par la crise sociale, économique et sanitaire, las qu’ils sont des confinements. L’abstention risque d’être très importante ; il est de notre responsabilité d’aider à populariser ces élections.

En conclusion, ce texte privilégie fondamentalement un état d’exception qui met en péril l’organisation démocratique de notre société. Le Parlement et le peuple doivent pouvoir reprendre en main la gestion du pays. Nous voterons donc contre ce projet de loi.

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