Ce texte piétine les propositions de la Convention citoyenne

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est déjà minuit pour notre planète, pour l’humain, pour le vivant.

Le vieux monde est en train de s’écrouler, la planète se dégrade chaque jour de façon irrémédiable, les espèces disparaissent par centaines chaque année, des populations entières voient leur habitat en danger, voire dévasté, et malgré cela nous regardons ailleurs.

Les catastrophes climatiques ne sont plus des phénomènes isolés et lointains. Elles nous touchent plus vite, plus fort et plus souvent, mais nous continuons de regarder ailleurs.

Selon les experts du GIEC, lorsque les enfants nés cette année auront 30 ans, le monde sera déjà irrémédiablement dégradé, soumis aux pénuries d’eau, aux exodes, à la malnutrition et à l’extinction des espèces.

En 2050, que diront nos enfants et petits-enfants de nous ? Que diront-ils de notre inaction climatique, alors que nous savions et que nous n’avons rien fait ou si peu ?

Nous refusons d’accepter le changement vital qui s’impose à nous, changement de mode de pensée, de mode de vie et, surtout, de ce système capitaliste qui épuise l’humain, le vivant, les ressources et la planète au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre.

À la place, on nous dit que le chemin est long, qu’il faut maintenir nos efforts. Ces derniers ressemblent à de petits sparadraps avec lesquels on tenterait d’arrêter une hémorragie massive.

Nous sommes pourtant la dernière génération de femmes et hommes politiques à pouvoir agir avant qu’il ne soit trop tard pour les limites planétaires, dont certaines ont déjà été franchies. Malheureusement, ce projet loi n’est pas à la hauteur. Il est même déjà obsolète.

Il est minuit et quart et, en cette heure tardive, comme toujours, madame la ministre, avec les membres du Gouvernement, vous n’avez voulu écouter que vous-mêmes et vos peurs d’une rupture radicale, pourtant nécessaire. Vous ignorez celles et ceux qui se mobilisent : les associations, les syndicats, la jeunesse, jusqu’aux membres de la Convention citoyenne pour le climat que vous aviez missionnés. Les propositions qu’ils ont construites, y mettant du temps, de la réflexion, de l’énergie, mais aussi de l’espoir, vous les piétinez avec ce texte !

Le mot d’ordre des débats sur ce projet de loi fut l’évitement. Nous avons échangé des heures sur l’agriculture, mais vous avez réussi l’exploit d’éviter les sujets du revenu paysan et de la politique agricole commune (PAC). Le régime qui, au sein de cette PAC, rend possible l’utilisation des pesticides sera rétribué au même montant que l’agriculture biologique.

La suppression des aides au maintien en agriculture biologique ne sera pas compensée (M. Laurent Duplomb se récrie.) et les aides au développement des protéines végétales ne seront pas suffisantes pour mettre fin aux importations de soja, destinées à l’alimentation des élevages industriels.

M. Laurent Duplomb. Avec le goulag, c’était mieux !

M. Fabien Gay. Que dire, enfin, de l’attentisme interminable face au fléau des engrais azotés ?

Nous avons discuté des heures sur les repas bio ou végétariens, alors que se multiplient les accords de libre-échange mortifères, responsables de l’augmentation du trafic de marchandises, de la déforestation, du dumping social et écologique. Vous les maintenez sans sourciller et évitez, une fois encore, de vous confronter à cette question.

Ensuite, vous avez évité de prendre en compte les engagements internationaux de la France en fixant un objectif de diminution de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, alors que l’Union européenne s’est récemment engagée à diminuer ces mêmes émissions de 55 % à la même échéance pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Certes, des amendements visant à rehausser l’ambition générale du projet de loi ont été adoptés, portant ainsi l’objectif de réduction des émissions de CO2 de 40 % à 55 % d’ici à 2030. Toutefois, selon le Haut Conseil pour le climat, ce texte n’engage aucun changement structurel nécessaire. En outre, une proportion élevée de ses dispositions voit sa portée réduite par un périmètre d’application limité. Le constat est sans appel : en l’état des mesures prises, la France n’atteindra pas ses objectifs.

De la même manière, nous nous sommes émus des problématiques de partage des usages de l’eau, car nous savons que le stress hydrique est une donnée incontournable. Dans le même temps, le Gouvernement a accepté, voire orchestré, la privatisation de l’eau potable en France avec l’affaire Suez-Véolia.

En ce qui concerne les entreprises et les banques, le Gouvernement et la majorité sénatoriale restent dans le déni. Pourtant, un rapport conjoint des Amis de la Terre France et d’Oxfam souligne l’absence d’engagement des établissements bancaires dans la transition énergétique. Pire, ces derniers soutiennent à hauteur de 100 milliards de dollars les entreprises actives dans les énergies fossiles. Il n’y a rien dans ce texte qui les contraigne à tendre vers la décarbonation de leurs activités.

Enfin, et surtout, vous avez évité un élément fondamental : la justice sociale. Alors que les inégalités explosent, vous ignorez toujours les plus précaires, ceux qui seront les plus touchés par les crises à venir.

Tout le monde attend que nous mêlions justice climatique et justice sociale. Nos concitoyens se soucient de l’état de la planète et aimeraient pouvoir la préserver. La transition doit donc être accessible à toutes et à tous.

L’évitement a été total, du début à la fin, la commission déclarant même nos amendements irrecevables. Conséquence : aucun débat sur le travail et le partage du temps de travail ; rien sur le partage de la valeur ajoutée, en particulier dans l’agroalimentaire ; refus de taxer les transactions financières et de déployer les moyens propres à combattre la déforestation importée. (M. Pascal Martin, rapporteur, proteste.)

En ce qui concerne le logement, seuls des objectifs à très long terme ont été fixés, alors que la rénovation des bâtiments est fondamentale. Rien non plus sur le service public ferroviaire et les trains d’équilibre du territoire (TET). Et la liste est encore longue…

Il faut reconnaître que le Sénat, sur certains points, a amélioré le texte initial : publicité pour les véhicules polluants, intégration des impacts sociaux et du respect des droits humains dans l’affichage environnemental, réduction de la TVA sur les billets de train à 5,5 % et exclusion d’entreprises qui ne satisfont pas à l’obligation d’établir un plan de vigilance de certains marchés.

Toutefois, certains reculs sont inacceptables, comme en matière de zones à faibles émissions, alors que les morts prématurées liées à la pollution de l’air ne sont plus contestables. Et que dire de la gestion des installations de fret qui pourront être externalisées, actant un peu plus la casse de SNCF Réseau ?

Il n’est plus possible de croire que, sans remise en cause du dogme de la concurrence libre et non faussée, ainsi que de l’idée d’un monde sans limites, nous puissions répondre aux enjeux climatiques et environnementaux. Oui, un texte qui porte l’ambition d’un changement de société doit mettre au cœur du débat les biens communs et le service public. Nous avons réussi l’exploit de parler d’énergie pendant des heures alors même que vous vous apprêtez à démanteler et privatiser une partie des activités d’EDF.

Pour conclure, il est déjà minuit trente pour la planète. Votre « coup de com’ » visait à vouloir tout changer pour que, finalement, rien ne change. Nous voterons contre ce texte.

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