Une résolution sommaire, partielle et partiale

Monsieur le président, chers collègues, la haine du juif en France, c’est l’histoire longue de deux mille ans de mesures d’éloignement, de législations d’exclusion, d’accusations criminelles, de persécutions, de pogroms et de génocides.

Dans sa monumentale Histoire de l’antisémitisme, Léon Poliakov montre que cette haine du juif trouve son origine dans l’Antiquité puis se renouvelle dans la constitution du corpus théologique et politique du christianisme naissant. Je le cite, « pour l’économie du christianisme, il fallait dorénavant que les juifs fussent un peuple criminellement coupable ». Reconnaissons-le, chers collègues, l’antijudaïsme a participé de la formation d’une certaine identité chrétienne de l’Occident.

Ainsi, en 1096, les Croisés massacrent les juifs de Rouen. La deuxième croisade de 1146 est précédée des mêmes pogroms et l’abbé Pierre de Cluny les justifie ainsi : « À quoi bon s’en aller au bout du monde, […] pour combattre les Sarrasins, quand nous laissons demeurer parmi nous d’autres infidèles qui sont mille fois plus coupables envers le Christ que les mahométans ? »

Il existe un antijudaïsme d’État aussi ancien dont l’histoire est marquée par les édits d’expulsion des juifs de Childebert en 533, de Dagobert en 633, de Philippe Auguste en 1182, de Saint Louis en 1254, de Philippe le Bel en 1306 et de Charles VI en 1394.

Il faut ajouter à cette terrible série les mesures prises par Napoléon Bonaparte, au moment du Concordat, pour interdire aux juifs de s’installer en Alsace. Il les justifiait par sa volonté « d’atténuer, sinon de guérir la tendance du peuple Juif à un si grand nombre de pratiques contraires à la civilisation et au bon ordre de la société ».

Ce qui est désigné dans ce projet de résolution par l’expression « antisémitisme contemporain » s’inscrit fondamentalement dans l’histoire trop longue d’un antijudaïsme millénaire dont son exposé des motifs ne nous dit malheureusement rien.

Ainsi, sans nier l’existence de formes actuelles d’antisémitisme prônant la destruction de l’État d’Israël, comment ne pas reconnaître dans les théories complotistes qui expliquent la covid comme le fruit d’une conspiration juive des résurgences des thèses médiévales qui accusaient les juifs de l’anéantissement de la chrétienté par l’épidémie ? C’est notre première réserve sur ce projet.

Notre deuxième objection porte sur le choix de la définition de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, qui est imprécise et dont l’utilisation politique très partisane a été justement dénoncée par Kenneth Stern, l’un de ses rédacteurs.

Cette définition n’était qu’une définition de travail. Depuis lors, un groupe de plus de deux cents spécialistes l’a reprise pour en lever les ambiguïtés dans un texte publié en 2020 sous le titre de Déclaration de Jérusalem.

Cette dernière est plus pertinente parce qu’elle inscrit les antisémitismes d’hier et d’aujourd’hui dans le même processus idéologique d’assimilation des juifs aux forces du mal. Cette déclaration rappelle avec force que « le combat contre l’antisémitisme ne saurait être dissocié de la lutte globale contre toutes les formes de discrimination raciale, ethnique, culturelle, religieuse et sexuelle ».

Enfin, nous regrettons vivement qu’une résolution citant l’Alliance pour la mémoire de l’Holocauste ne mentionne aucunement la nouvelle irruption dans le débat public de thèses négationnistes et de tentatives de réhabilitation de l’État français du maréchal Pétain.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Pierre Ouzoulias. Souvenons-nous de la déclaration, au nom de la France, du président Jacques Chirac, le 16 juillet 1995, lors de la commémoration de la grande rafle de juillet 1942 : « La folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français, […] la France, patrie des Lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux. » Je le cite toujours : « Transmettre la mémoire du peuple juif, des souffrances et des camps. […] Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’État. Ne rien occulter des heures sombres de notre histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. »

Cette déclaration nous honore, nous oblige et nous engage. Elle impose au Sénat d’éclairer davantage nos concitoyens sur les deux mille ans de cet antijudaïsme qui aboutit à l’inhumanité absolue de la Shoah.

Engageons, chers collègues, ensemble, dans l’unité, ce travail de fond à partir de la Déclaration de Jérusalem.

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