Ce rétablissement partiel du cumul des mandats est un contresens démocratique

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir lu le rapport de M. Le Rudulier sur la proposition de loi organique de M. Marseille, je tiens à affirmer que, si le constat est juste, celui d’un Parlement affaibli et d’une fonction parlementaire abîmée, le remède choisi, celui du rétablissement partiel du cumul des mandats, n’est pas le bon.

L’exposé des motifs de la proposition de loi organique établit d’entrée de jeu un lien entre, d’une part, la colère sociale et l’abstention massive et, d’autre part, la déconnexion supposée des élus avec le réel. Selon les auteurs du texte, cette déconnexion provient pour l’essentiel de l’instauration du principe de non-cumul des mandats, qui concerne – je le rappelle – le mandat de parlementaire et une fonction exécutive locale, un parlementaire pouvant exercer un mandat local, voire deux. Une telle analyse me paraît un peu courte.

En effet, qui peut affirmer ici que l’abstention massive proviendrait du cumul ou du non-cumul des mandats, ou encore d’une déconnexion des élus du réel ?

Si l’on suit le raisonnement des auteurs, l’abstention particulièrement forte lors des élections locales procéderait d’une déconnexion des élus territoriaux du réel, ce qui ne me semble pas être le cas. La crise de la démocratie, qui est évoquée de manière précise par M. le rapporteur, relève de causes beaucoup plus profondes et diverses : économiques, sociales et institutionnelles.

La question posée en filigrane est celle du rôle du Parlement, de son efficacité, de ses prérogatives et de la pertinence de l’action parlementaire.

Oui, l’affaiblissement des assemblées est un fait, et le mode d’élection et la représentativité de celles-ci sont à revoir. Le rapport rappelle la surreprésentation des classes les plus favorisées socialement et le doublement de la représentation, à l’Assemblée nationale, des chefs d’entreprise, dont la proportion est passée de 8 % à 14%, alors que la présence des ouvriers et employés est quasiment nulle.

La proposition de loi organique ne s’intéresse pas à cette sous-représentation, de même que ses auteurs ne s’intéressent pas à la sous-représentation des jeunes, des personnes issues de l’immigration, comme l’on dit – certes, je n’aime pas cette formule –, et des femmes.

Mme Françoise Gatel. Tout cela peut se régler par la loi.

Mme Éliane Assassi. Madame Gatel, ce serait bien si vous pouviez écouter les autres. Ce serait respectueux.

Mme Françoise Gatel. Mais j’écoute !

Mme Éliane Assassi. La crise du Parlement n’est-elle pas plutôt à rechercher du côté de l’« hyperprésidentialisation » et de l’inversion du calendrier, qui soumet l’élection des parlementaires à l’« effet de souffle » de l’élection présidentielle ?

M. le rapporteur nous explique que détenir une fonction exécutive locale permettrait de mieux résister à l’exécutif. C’est un leurre. Il faut déconnecter l’élection législative de l’élection présidentielle et réduire de manière drastique l’influence du chef de l’État dans nos institutions. La verticalité folle, là est le problème. C’est à cette question qu’il faut s’attaquer.

Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que l’implantation locale résoudra le problème. Mais 64 % des sénateurs sont des élus locaux, de même que 56 % des députés et même 78 % si l’on retire les députés La République en Marche. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE et Les Républicains. – M. Guy Benarroche applaudit également.)

Selon vous, l’implantation locale semble se limiter à la fonction élective. Mais les militants associatifs, syndicaux et politiques ne sont-ils pas implantés localement ?

L’un des arguments que l’on entend souvent est celui d’une baisse supposée de la qualité du travail parlementaire. Ce constat concerne surtout l’Assemblée nationale, du fait du mode de désignation des candidats de La République en Marche aux législatives, sur curriculum vitæ. Mais cela n’a rien à voir avec la question du non-cumul des mandats. C’est un choix politique, un choix d’affaiblissement du Parlement, destiné à assurer la prééminence du chef de l’État.

Chacun loue la qualité du travail sénatorial et l’expertise de la Haute Assemblée, même si cette expertise ne sert pas toujours les idées que je défends. Pourtant, l’application de la règle du non-cumul est la même ici qu’à l’Assemblée nationale. Notons de surcroît que c’est au sein de notre assemblée, où la proportionnelle est présente et même majoritaire, que le travail parlementaire est le plus efficace.

D’autres voies que le cumul des mandats sont donc à rechercher. La question de l’initiative citoyenne et de l’ouverture des institutions, si cruciale pour chercher un nouvel ancrage, non pas local mais démocratique, est posée.

Mme le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. Je ne reviendrai pas, faute de temps, sur les raisons qui nous avaient amenés à voter pour la réforme du non-cumul des mandats. Il y a encore un long chemin à parcourir pour renouer le lien entre le peuple et la politique. Ce ne sera certainement pas en revenant en arrière que nous atteindrons cet objectif.

Le groupe CRCE votera majoritairement contre cette proposition de loi organique.

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