La régulation publique est déterminante

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que la terre est la ressource du vivant, la question de la régulation et de l’interventionnisme public dans la gestion du foncier agricole est déterminante.

La question foncière est au cœur du renouvellement générationnel en agriculture, alors que 37 % des paysans vont quitter leurs terres dans la décennie qui vient. Elle doit donc être intégrée à la préparation de la relève, via par exemple les aides à l’installation des jeunes agriculteurs.

La question foncière est aussi au cœur des problématiques environnementales et de préservation de la qualité des sols et de l’eau.

Elle est au cœur d’un modèle d’agriculture de taille humaine, de proximité, que nous souhaitons préserver et développer.

Ce n’est pas un hasard si ce sujet complexe a fait l’objet de nombreux rapports ces dernières années et devient peu à peu une préoccupation citoyenne.

Au-delà de la question de l’artificialisation, c’est aujourd’hui la concentration foncière qui est en jeu du fait de la fragilisation des outils de contrôle de la propriété et de l’usage des espaces agricoles.

En effet, la question foncière n’est plus essentiellement l’affaire des agriculteurs ; elle devient celle d’investisseurs capitalistes et de spéculateurs financiers dont les stratégies de maîtrise du foncier agricole sont totalement étrangères aux objectifs de la politique foncière mise en place au milieu du XXe siècle.

M. Laurent Duplomb. Vive l’URSS !

M. Laurent Burgoa. Vous voulez les kolkhozes ? (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Fabien Gay. Nous pourrons parler des kolkhozes, mon cher collègue, même si je n’en ai jamais été un grand partisan… Je veux bien avoir un grand débat avec vous, sur cette question et sur bien d’autres !

Cette proposition de loi soulève donc une question essentielle : comment répondre à l’essor d’une agriculture de firmes et d’une financiarisation des terres qui se font au détriment du modèle agricole ?

L’accaparement des terres agricoles entraîne en effet la concentration d’une ressource essentielle dans les mains de quelques-uns, au détriment des paysans privés de terre, des jeunes agriculteurs, mais aussi de l’ensemble de nos concitoyens, tant cette question a partie liée avec l’exigence d’une alimentation saine et de qualité.

Mon sentiment est que, malgré tout, nous pouvons nous accorder sur deux points.

Aujourd’hui, la législation foncière est opaque et incapable de maîtriser la marchandisation de la terre. En outre, l’usage partagé de cette ressource ne peut pas être régulé par les seules lois du marché.

Mais la solution proposée ne nous convainc pas. Loin de renforcer les outils de régulation existants, le texte instaure un nouveau régime de contrôle du phénomène sociétaire qui risque de fragiliser encore davantage les formes de contrôle existantes, voire d’accélérer un mouvement de financiarisation qu’il faudrait au contraire combattre.

La proposition de loi a un champ trop limité, le déclenchement du contrôle étant doublement conditionné : il faut que la cession de parts conduise à la prise de contrôle d’une société à hauteur de 40 % des droits de vote et que la surface totale détenue après l’acquisition de la société dépasse un seuil d’agrandissement significatif fixé par le préfet de région. Or ces deux seuils, ainsi que les différentes exemptions prévues par le texte, limiteront fortement les opérations soumises au contrôle. Pis, le texte permet de dépasser le seuil d’agrandissement en contrepartie de mesures compensatoires.

Dès lors, on peut se demander si cette nouvelle procédure de contrôle n’aura pas un effet contraire à celui qui est recherché, certains se servant de ce nouvel outil pour constituer des sociétés qui permettront de contourner le contrôle des structures.

Nous regrettons enfin qu’en lieu et place d’une grande loi foncière nous débattions d’une proposition de loi enserrée dans le temps de l’initiative parlementaire. L’accumulation de petites réformes nuit à la cohérence et à la clarté et témoigne d’un manque de vision globale concernant une thématique pourtant fondamentale.

En ce sens, ce texte est une occasion manquée. Il ne répondra malheureusement pas aux objectifs de relocalisation alimentaire, de protection de l’environnement, de défense des droits à la terre et à l’installation.

La terre n’est pas un bien comme les autres et il faudra beaucoup plus d’ambition pour la préserver et l’arracher au phénomène de financiarisation, qui nuit à la souveraineté alimentaire et à la biodiversité.

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