Le remède proposé ici risque d’être pire que le mal

Le remède proposé ici risque d'être pire que le mal - Accès au foncier agricole : conclusions de la CMP (Flambo - https://www.pexels.com/fr-fr/@flambo-388007)

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avions dit lors de l’examen de cette proposition de loi, si nous avons conscience que la question de la régulation du foncier agricole est essentielle pour assurer l’avenir de notre agriculture, il n’en demeure pas moins que nous sommes réservés sur la portée de ce texte.

Ainsi, comme de nombreux observateurs, nous pensons que le remède pourrait être pire que le mal, puisque nous créons finalement un système de deux poids deux mesures, en lieu et place d’un même seuil de contrôle pour tous et d’arbitrages reposant sur un corpus législatif commun.

Nous ne comprenons toujours pas pourquoi est opérée une distinction entre le seuil général de contrôle des structures et le seuil qui s’appliquera aux sociétés, ni pourquoi il a été choisi de mettre en place une inégalité de traitement entre les personnes physiques et les personnes morales détentrices de parts de sociétés. Cela risque d’accélérer le phénomène sociétaire, donc, inévitablement, l’agrandissement que cette proposition de loi est pourtant censée combattre.

Pis, ce texte instaure de multiples dérogations au nouveau contrôle des cessions des parts sociales, voire un cumul des différentes dérogations permettant l’agrandissement sans contrôle d’une exploitation. Lors des débats en première lecture, il avait été rappelé, à juste titre, qu’« il suffirait de se pacser avec son salarié qui est aussi son cousin éloigné » !

Sans parler de la mise en place de mesures compensatoires qui permettront l’agrandissement, mais aussi l’accélération de la financiarisation de notre agriculture et mettront à mal les contrôles traditionnels…

Dès lors, faut-il se contenter d’une loi a minima sur le foncier, au risque de ne plus aborder ce sujet pourtant fondamental ? Faut-il se contenter d’un compromis qui, malheureusement, n’endiguera pas le phénomène de libéralisation et qui ne garantira pas un accès et un usage équitables à ce bien commun, même si certains n’aiment pas cette expression, qu’est le foncier agricole ?

Nous ne le pensons pas et nous ne nous y résignons pas, tout comme de nombreux syndicats agricoles ou associations qui sont vent debout contre cette proposition de loi. Cela a déjà été dit lors de la discussion de la proposition de loi, que ce soit la Confédération paysanne, Terres de Liens, la Fédération nationale d’agriculture biologique, aGter et France Nature Environnement, tous dénoncent le manque d’ambition du texte, qui « ne réglera aucunement la difficulté d’accès au foncier […] pour les porteuses et porteurs de projets agricoles et notamment les “non- issus du milieu agricole” ».

Or, comme le soulignent un certain nombre de spécialistes du droit du foncier agricole, le foncier constitue la trame essentielle du territoire que le code de l’urbanisme qualifie de « patrimoine commun de la Nation ». Et, ne nous n’y trompons pas, sur ce sujet comme sur bien d’autres, nombreux sont ceux qui plaident pour la disparition de toute régulation au motif qu’elle serait un frein à la liberté d’entreprendre et au développement économique des entreprises agricoles, tout cela au nom de la compétitivité.

En même temps, oserais-je dire (Sourires.), nous sommes nombreux ici au Sénat, et qui plus est de manière transpartisane, à partager le constat que l’agrandissement excessif des structures, la diminution du nombre d’exploitations et d’exploitants et l’industrialisation des processus de production ont des conséquences néfastes pour l’aménagement du territoire, l’environnement, la qualité des produits et des sols, l’emploi et, surtout, la vitalité des territoires ruraux.

L’accaparement des ressources foncières, par des investisseurs étrangers, mais aussi par de grands groupes nationaux, représente une véritable menace. Nous pouvons toutes et tous, en tant que de besoin, le dénoncer.

Malgré ce constat, permettez-moi de le dire, nous restons en deçà des enjeux, nous nous éloignons toujours plus du « pacte foncier qui, depuis les années 1960, établit dans le monde agricole un équilibre entre la propriété et le travail de la terre », comme le dit si bien Dominique Potier,…

M. Laurent Duplomb. Alors là…

Mme Cécile Cukierman. … entre le besoin de propriété et d’accaparement et la nécessité de donner de la valeur au travail de celles et ceux qui, au quotidien, font vivre la terre sans compter leurs heures. Ce pacte donnait la priorité au facteur humain plutôt qu’aux mouvements de capitaux et de concentration.

Notre pays a profondément besoin de « justice foncière », voire d’« utopie foncière », pour reprendre les mots d’Edgar Pisani, c’est-à-dire d’une rénovation du rapport à la terre.

Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Cécile Cukierman. Il faudrait que le Sénat débatte d’une grande loi foncière agricole.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne voterons pas les conclusions de la commission mixte paritaire.

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