Comment assurer durablement la survie de l’Arménie ?

Nous sommes prêts à oublier tous nos principes moraux quand il s’agit d’assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Europe et singulièrement ceux de l’Allemagne.

En septembre, une délégation du Sénat a été reçue à Yerevan par les autorités arméniennes. Notre collègue et ami, le député Vladimir Vardanyan, président du groupe d’amitié Arménie-France, nous a dit, les larmes aux yeux, sa terreur de ne pouvoir éviter à son peuple un second génocide.

En octobre 2019, nous étions tous les deux dans la clairière du mont Valérien, là même où Missak Manouchian fut fusillé par les Allemands, le 21 février 1944. Missak Manouchian a donné sa vie pour la liberté de la France. Que sommes-nous prêts à donner à l’Arménie pour sa liberté ?

Du 27 septembre au 10 novembre 2020, la République d’Artsakh a subi l’invasion militaire de l’Azerbaïdjan, aidée par la Turquie et renforcée par des groupes djihadistes venus de Syrie et de Libye. La Turquie a ainsi participé, au moins indirectement, à un conflit de haute intensité selon une doctrine et des processus militaires qu’elle a appris au sein de l’Otan. Ce sont les mêmes tactiques que l’Ukraine utilise aujourd’hui avec succès contre l’invasion russe. Ainsi, les drones turcs Bayraktar TB2 engagés par l’Ukraine sont aussi ceux mobilisés par l’Azerbaïdjan contre l’Arménie. Israël fournit aussi des drones à ces deux armées.

La République d’Artsakh et l’Arménie ont été totalement dépassées par l’ampleur et la violence de ce conflit d’un nouveau genre. Elles n’ont dû leurs survies qu’à la mansuétude de la Russie qui voulait démontrer, en 2020, que la sécurité du Caucase ne dépendait que d’elle.

C’est sans aucun doute le désastre militaire de l’armée russe en Ukraine qui pousse aujourd’hui l’Azerbaïdjan à profiter de son avantage pour imposer par la force à l’Arménie un redécoupage des frontières internationales à son profit. Son objectif stratégique est connu. Il consiste à établir une continuité territoriale avec sa république autonome exclavée du Nakhitchevan en annexant un corridor le long de la frontière entre l’Arménie et l’Iran. Cette ambition n’est qu’une déclinaison régionale du grand projet panturquiste de constitution d’un espace politique unifié d’Istanbul à Bichkek au Kirghizistan.

En octobre, la France, par la voix de son Président, a explicitement caractérisé les agressions de l’Azerbaïdjan comme une violation des frontières arméniennes reconnues par le droit international. Il est affligeant, qu’en juillet, la présidente de la Commission européenne se soit rendue à Bakou pour sceller un accord énergétique avec l’Azerbaïdjan, qualifiée de partenaire de confiance. L’Azerbaïdjan exporte plus de pétrole qu’elle n’en produit et vend sans doute à l’Europe une partie du pétrole qu’elle reçoit de la Russie. Elle s’est aussi engagée à doubler ses exportations de gaz vers l’Europe et le principal champ gazier azéri est notamment exploité par la compagnie russe Lukoil.

Nous sommes prêts à oublier tous nos principes moraux quand il s’agit d’assurer la sécurité des approvisionnements énergétiques de l’Europe et singulièrement ceux de l’Allemagne.

Depuis plus d’un siècle, l’Arménie est le miroir de nos lâchetés, de nos hypocrisies et de nos trahisons.

Aussi, nous sommes très favorables à cette résolution qui demande au Gouvernement de mobiliser sa diplomatie pour obtenir de l’Union européenne un embargo sur le pétrole et le gaz provenant d’Azerbaïdjan.

Mais, au-delà, comment assurer durablement la survie de l’Arménie ? De nombreux Arméniens pensent trouver leur sécurité sous la tutelle russe et le Catholicos de l’Église apostolique arménienne vient de recevoir de Vladimir Poutine les insignes de l’Ordre de l’honneur.

Le soutien de la Russie a déjà été défaillant par le passé. Aujourd’hui, son intérêt stratégique est de prolonger ce conflit pour maintenir l’Arménie dans un état de subordination et faire valoir cette protection relative dans une négociation plus ample. De nouveau, les conflits ukrainiens et arméniens sont liés.

Pour aider durablement l’Arménie, il revient à la France et à l’Europe de poser les bases d’un nouveau multilatéralisme à l’échelle de tout le continent européen et de son proche environnement. Cette réflexion ne peut éluder les problèmes posés par nos relations avec la Turquie et de son projet expansionniste. Son appartenance à l’Otan ne justifie pas l’abdication collective de l’Europe face à l’agression turque contre l’Arménie, mais aussi ses manœuvres contre la Grèce et l’occupation militaire d’une partie du territoire de la République de Chypre.

Avant d’être fusillé, Missak Manouchian écrivait à sa femme : « je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement ». Aujourd’hui, le peuple arménien nous demande de rester fidèles aux combats de la France pour la liberté et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

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