Tribunaux de commerce

Par Robert Bret

Le Sénat a décidé d’enterrer la réforme des tribunaux de commerce. En votant la question préalable, la majorité sénatoriale refusera l’introduction de la mixité au sein des juridictions consulaires, pour des raisons tenant à des considérations étrangères à ce texte. Elle refusera d’adopter une attitude constructive alors que la session va s’interrompre très prochainement et qu’il y a urgence sur cette question. Tout le monde, y compris la droite parlementaire, admet pourtant l’intérêt de réformer l’organisation et le fonctionnement des tribunaux de commerce.

Car l’institution née il y a quelques siècles s’est distinguée ces dernières années par un fonctionnement autarcique, objet de critiques très dures. Ces dernières ont jeté la suspicion, parfois injustement, sur l’ensemble de la profession ; en 1998, le rapport d’enquête de l’Assemblée nationale a révélé de graves dysfonctionnements, certains juges ayant sacrifié l’intérêt général et celui des salariés au profit d’aménagements douteux, voire d’intérêts personnels.

Il fallait intervenir rapidement si l’on voulait que se perpétue le principe original d’une justice rendue par des professionnels de terrain, qui n’a pas son équivalent partout en Europe.

Le gouvernement s’y est d’abord attelé en procédant à une révision de la carte judiciaire. Mme la garde des Sceaux nous indique trente-six tribunaux de commerce ­ quarante-trois ont déjà été supprimés.

Néanmoins, rapidement, il a rencontré de vives résistances, particulièrement des juges consulaires : le bras de fer commençait. Depuis lors, des réactions de crispation ont conduit plus d’une fois à des situations d’impasse : aujourd’hui encore, des tribunaux de commerce sont en grève, pour exprimer leur désaccord au sujet de la présidence de la chambre mixte.

Un point d’équilibre avait pourtant été atteint ; l’introduction de la mixité, le renforcement de la déontologie et des incompatibilités, la démocratisation du mode d’élection des juges consulaires, les limites de durée d’exercice, permettent en effet de conformer pleinement notre système aux exigences de la convention européenne des droits de l’homme en matière de droit à un jugement impartial.

La mixité nous semble particulièrement bienvenue : l’alliance des expériences ne peut être que profitable au justiciable. Du reste, je regrette la limitation de la mixité aux procédures collectives ­ bien en-deçà de ce que prévoyait le texte initial ­ et le combat d’arrière-garde de certains tribunaux quant à la présidence de cette chambre. Cette réaction ne peut qu’alimenter la défiance à l’encontre des juges consulaires suspectés de vouloir défendre leur pré- carré. La mixité est une chance qu’il faudrait transposer, comme le propose le député Carvalho, aux chambres sociales d’appel pour y faire entrer les représentants des salariés. Il est donc fort dommage que la majorité refuse de discuter de ce texte.

Certains arguments en faveur de la question préalable rejoignent cependant nos préoccupations. Ainsi, la réforme des procédures collectives nous paraît-elle prioritaire, tant la préservation de l’emploi est loin d’y être effective.

Ces procédures privilégient désormais les créanciers sur les salariés, au point qu’un groupe dont une société est en liquidation judiciaire, peut être reconnu comme créancier ­ Alsthom est ainsi créancier des ateliers mécaniques Saint-Florent. Neuf procédures collectives sur dix conduisent à des liquidations judiciaires, selon le parquet : la réforme des lois de 1984 et 1985 est urgente, les meilleurs des juges ne pourraient se passer d’un changement des procédures quand l’emploi est à ce point touché !

Doit-on pour autant faire de cette réforme un préalable à tout changement, comme nous y invite la commission ? Certainement pas, dès lors qu’on n’est pas hostile à des chambres mixtes ­ en incluant notamment des conseillers des prud’hommes ­ et qu’on accepte de sortir du seul cadre du droit commercial.

Le salarié doit être interlocuteur à part entière des procédures collectives, c’est même aller dans l’intérêt des collectivités locales que de le dire. La prévention des licenciements économiques a progressé grâce à la loi de modernisation sociale et nous demandons un moratoire, avec nos collègues députés. La décision récente du Conseil constitutionnel nous conforte, pour que le pouvoir politique impose des lignes directrices au pouvoir économique.

Le député Houillon vante l’arbitrage, mais nous savons bien qu’ainsi il vise à faire échapper le libéralisme économique à toute contrainte politique !

La majorité sénatoriale est plus convaincante lorsqu’elle demande une réforme de la carte judiciaire. Mais il ne faut pas en nier le coût important, ni risquer une paralysie de la réforme par manque de moyens. Chacun de nous doit bien aussi reconnaître qu’il soutient la réforme tant qu’elle ne touche pas sa circonscription électorale&#133

Nous ne voterons pas la question préalable car nous savons qu’elle dissimule une hostilité de principe à toute réforme de la juridiction commerciale. La majorité sénatoriale ne nous propose d’ailleurs pas d’alternative et elle refuse d’appliquer la réforme aux administrateurs, liquidateurs et mandataires judiciaires, comme s’ils étaient sans lien avec la carte judiciaire.

Le groupe C.R.C. s’opposera donc à ce qui n’est finalement qu’un coup politique à la veille d’échéances nationales. Nous nous opposerons également à la question préalable où l’examen du projet de loi organique relative au recrutement de conseillers de cour d’appel exerçant à titre temporaire.

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