Protocole n°14 à la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales

Protocole n°14 à la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (Catalin Besleaga - https://www.flickr.com/photos/th3sly/)

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers Collègues,

Le protocole n°14 à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soumis aujourd’hui à notre approbation vient amender le système de contrôle de la convention dont la Cour européenne des droits de l’homme constitue la pierre angulaire.

Tout d’abord, je voudrais insister sur le fait que la réforme de la Cour européenne ne doit pas être considérée comme une question d’ordre exclusivement technique. L’amélioration du mécanisme de protection des droits de l’homme est un enjeu fondamental lorsque l’on sait que le système de la CEDH est un exemple unique en matière de garantie juridictionnelle des droits des individus.

Certes, on ne peut ignorer le constat à l’origine du protocole n°14, celui du risque de saturation de la Cour, confrontée à l’explosion de son activité car victime de son succès. Ce qui témoigne de l’attachement des citoyens au respect de leurs droits.

Ainsi, le nombre de requêtes ne cesse d’augmenter et force est de constater que la Cour se trouve indubitablement confrontée à un problème de surcharge.
Au cours de ses quarante-quatre premières années de fonctionnement, la Commission et la Cour ont rendu un total de 38 389 décisions tandis qu’entre 1998 et 2004, la Cour en a rendu 61 633.
En outre, le nombre des affaires en instance s’accroît également. A ce jour on dénombre 75000 dossiers pendants.

Il est donc nécessaire d’améliorer le fonctionnement de la Cour afin de garantir son efficacité et l’effectivité même des droits qu’elle est censée protéger.
Cependant, aussi nécessaire soit-elle, je considère que les logiques de rationalisation de l’accès au juge européen ne doivent pas altérer le processus de démocratisation de l’accès au droit.

Certes, le protocole n°14 comporte plusieurs dispositions d’ordre institutionnel qui me paraissent aller dans le bon sens.
En particulier, l’article 2 (1), relatif à la durée du mandat des juges, stipule : « Les juges sont élus pour une durée de neuf ans. Ils ne sont pas rééligibles ». L’instauration d’un mandat non renouvelable conférera certainement une plus grande indépendance aux juges et plus de garanties aux justiciables.
Par ailleurs, le droit de tierce intervention reconnu au Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe me semble être une mesure susceptible d’apporter une valeur ajoutée à la procédure, si toutefois, les moyens financiers nécessaires lui sont octroyés afin de lui permettre d’exercer effectivement ses nouveaux pouvoirs.
De même, les dispositions du protocole qui encouragent le recours au règlement amiable me paraissent positives.

Au-delà de ces considérations d’ordre institutionnel, je souhaiterais dire quelques mots concernant les trois éléments de procédure qui ont été modifiés par le protocole soumis à notre approbation.

Premièrement, concernant le renforcement de la capacité de filtrage des requêtes reçues par la Cour, on constate généralement que plus de 90% du total des requêtes reçues par la Cour sont déclarées irrecevables. On admet qu’il s’agit d’une difficulté majeure à laquelle la Cour est confrontée en termes d’encombrement.
Le protocole n°14 propose, pour renforcer la capacité de filtrage de la Cour, de confier aux nouvelles formations de juge unique la faculté de déclarer irrecevables ou de rayer du rôle les requêtes individuelles, dans la mesures ou « une telle décision peut-être prise sans examen complémentaire » (article 7 du protocole).
Je suis défavorable à cet article. Je partage, à ce sujet, la position d’Amnesty International et de 73 autres organisations dans une Réponse commune aux propositions visant à assurer l’efficacité à long terme de la Cour européenne des droits de l’homme signée et remise au Comité des ministres, selon laquelle aucune décision sur la recevabilité et /ou le bien-fondé d’une requête ne devrait être prise par moins de trois juges. Compte tenu de leur gravité, les décisions obligatoires définitives sur la recevabilité des requêtes demandant réparation à une Cour internationale des droits de l’homme pour des allégations de violation des droits humains à l’encontre de personnes, devraient être collégiales par nature.

Concernant le traitement des affaires répétitives, l’article 8 du protocole prévoit un accroissement des compétences des comités de trois juges. Leur est confié le nouveau pouvoir de prendre des décisions concernant en même temps la recevabilité et le fond des dossiers « lorsque que la question relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles qui est à l’origine de l’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour ».
Ces comités de trois juges ne comprendraient pas nécessairement le juge élu au titre de l’État cité dans la requête. Cependant, le comité serait doté du pouvoir de demander, à n’importe quel moment de la procédure, que le juge élu au titre de l’État mis en cause dans la requête prenne la place de l’un des juges au sein du comité. Le comité ferait cette demande en prenant en considération tous les facteurs pertinents, et notamment dans le cas où l’État se serait opposé au traitement de l’affaire selon cette procédure.

Je considère que la possibilité pour les comités de déclarer recevable et de statuer conjointement sur le fond d’une requête, du fait que celle-ci soulève des problèmes sur lesquels la jurisprudence de la Cour est bien établie, permettra d’accélérer le traitement de ces affaires « clones » et constituera un gain de temps pour la Cour.
En revanche, je suis très opposé à la possibilité de substitution, au sein du comité de trois juges, d’un juge élu au titre de l’État qui fait l’objet de la requête.
Cela susciterait en effet des doutes compréhensibles sur l’indépendance de la Cour et nuirait par conséquent à sa crédibilité.

Enfin, concernant l’instauration d’un nouveau critère de recevabilité.
L’article 12 du protocole prévoit que la Cour pourra déclarer irrecevables les affaires dans lesquelles le requérant « n’a subi aucun préjudice important », sauf si le respect des droits de l’homme exige un examen au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaires qui n’a pas été dûment examinée par un tribunal interne.
Je suis opposé à l’ajout d’un nouveau critère de recevabilité ayant pour effet de restreindre le droit de recours individuel au juge européen. Je considère qu’il est fondamental que toute victime d’atteintes à la Convention européenne puisse bénéficier du droit d’accès au juge européen, sans considération d’importance du préjudice subi.

Je le conteste d’autant plus que je note le grand flou juridique de ce nouveau critère. Il convient de relever que l’expression « aucun préjudice important » n’est pas définie par le protocole. Un grande marge de manœuvre est donc laissée aux juges qui décideront eux-mêmes ce que recouvre cette expression. Le juge européen sera donc à la fois juge et partie. Lorsqu’il devra statuer sur la recevabilité d’une affaire il devra lui-même définir les contours du critère de recevabilité sur lequel il se fondera pour rendre sa décision. Cela n’est pas acceptable.

De façon plus générale, la possibilité pour la Cour de choisir, en fonction de leur importance, les requêtes qu’elle entend traiter, me parait aller à l’encontre de l’objectif même assigner à la Cour européenne, à savoir, garantir le respect des droits de l’homme inscrits dans la Convention et en assurer une interprétation cohérente.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que le groupe CRC s’abstienne sur ce projet de loi.

Je vous remercie.

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