Portefeuille de négociation

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les limites du droit parlementaire apparaissent avec d’autant plus d’évidence que nous sommes placés en situation d’en mesurer la portée.

Nous discutons aujourd’hui d’une proposition de résolution européenne dont notre commission des affaires européennes a jugé utile que nous puissions débattre mais que la commission des finances, après examen, recommande de rejeter au terme de la discussion, et ce alors même que, comme toute proposition de résolution européenne, son adoption n’entraînerait aucune obligation pour le gouvernement français, notamment dans le cadre du prochain Conseil européen. Même l’adoption d’une proposition relevant du vœu pieux ne préempte en aucune manière la position et l’attitude du Gouvernement, notre Constitution n’envisageant pas de mandat impératif en la matière.

Au-delà de cette question de forme, qui désincarne un peu plus le débat parlementaire, se pose évidemment la question de fond, c’est-à-dire le comportement des établissements de crédit, la manière dont ils ont, dans notre pays, affronté les aléas de la situation financière internationale et, par voie de conséquence, la manière dont on pourrait souhaiter, à l’avenir, qu’ils l’appréhendent en tentant d’éviter ce que nous avons connu depuis l’été 2008.

Je constate que la commission des finances, en tout cas sa majorité, confirme sa position, constamment défendue dès lors qu’une discussion parlementaire aborde les questions financières et bancaires : celle du maintien des pratiques en cours. Pas question de toucher, ne serait-ce que du bout de l’ongle, aux méthodes, aux manières et aux comportements des banques, des opérateurs de marché, des spécialistes du boursicotage, des fonds d’investissement ou des spécialistes du LBO ! Toucher à cela, c’est s’attaquer à une sorte de zone interdite où seule compterait la loi du marché, comme si la République semblait s’arrêter devant le mur de l’argent.

Pourtant, demander aux banques de respecter les faibles contreparties qui ont été établies en regard de l’aide publique au refinancement et à leur recapitalisation serait une exigence minimale si l’on voulait réellement replacer la politique et la puissance publique au centre du jeu financier. De même, recommander de limiter les rémunérations exceptionnelles, les retraites chapeau, les parachutes dorés serait parfaitement justifié si l’on voulait réellement « moraliser le capitalisme », comme le prétend le Président de la République. Il est en effet grand temps de prendre des mesures concrètes permettant à l’intérêt général de prévaloir à nouveau et à la décision politique de reprendre ses droits sur l’égoïsme de la toute puissance des forces de l’argent.

Force est de constater que nous n’en prenons pas le chemin. Alors que les sommets du G 20 et les déclarations péremptoires au plus haut niveau de l’État laissaient penser que les règles du jeu allaient changer, la plupart des établissements de crédit, en France comme à l’étranger, s’apprêteraient à verser à leurs dirigeants comme à leurs opérateurs de marché des gratifications d’un montant inégalé…

En rejetant cette proposition de résolution européenne qui n’a pourtant aucune portée impérative, la commission des finances renonce à l’encadrement des bonus, aux obligations de distribution de crédit et à la nécessité de rendre des comptes pour les établissements de crédit.

Mes chers collègues, vous avez sûrement entendu ces derniers temps le discours de M. Baudouin Prot, PDG de la banque BNP Paribas et dirigeant de la Fédération bancaire française.

M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Discours très intéressant.

M. Bernard Vera. Alors qu’il est évident que les banques françaises ont tiré parti de la baisse sensible des taux de refinancement interbancaire, baisse orientée par le comportement des banques centrales pour reconstituer leurs marges d’intermédiation, voici que M. Prot, devant les critiques qui se font jour, théorise sur le « crédit responsable ». Dans son esprit, il s’agit d’éviter que la crise ne se reproduise en attribuant tout crédit avec le plus de garanties possible. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est entendu ! La contraction des crédits atteint un niveau inégalé cette année alors que la BNP Paribas vient d’annoncer un résultat pour le premier semestre de l’année 2009 aussi élevé que le résultat annuel de l’exercice 2008 !

Aujourd’hui, on prête moins, pas vraiment moins cher, et on réalise un produit net bancaire particulièrement remarquable. Ne serait-ce que pour cette raison, nous pourrions adopter la proposition de résolution qui nous est présentée.

Mais, entre la majorité de la commission des finances qui s’y oppose et le Gouvernement qui s’est empressé, cette semaine, de demander une seconde délibération afin que la taxation exceptionnelle des établissements de crédit, adoptée par voie d’amendement, soit finalement supprimée du projet de loi de finances, nous nous trouvons décidément face à des gardiens inflexibles du sanctuaire de la finance et de la spéculation !

On évoque l’idée de mettre en œuvre une petite taxe destinée à prendre en charge la surveillance et la supervision des activités de marché. En échange de quoi, les entreprises du secteur, au motif qu’il ne faudrait pas accroître les prélèvements obligatoires, se verraient allégées du paiement de la taxe sur les salaires ! C’est beaucoup de sollicitude pour un secteur d’activité qui non seulement n’a pas créé beaucoup d’emplois ces derniers temps mais qui, de surcroît, conditionne l’existence de milliers d’autres dans ses activités quotidiennes.

La France se retrouve ainsi, une fois de plus, à l’opposé de la plupart des pays développés, qui envisagent sérieusement des mesures de nature fiscale en direction de leurs banques.

Il est grand temps, mes chers collègues, que les affaires bancaires ne soient pas laissées aux seules mains des banquiers. Le pays a déjà payé le prix fort de leur aventurisme et de leur inconséquence en crise économique et sociale, en liquidation d’emplois et d’entreprises. Il faut passer à autre chose.

Sans résoudre toutes les questions, la proposition de résolution qui nous est soumise le permettrait, à sa manière. C’est pourquoi le groupe CRC-SPG soutient ce texte. Le rejeter équivaut, une fois encore, à démontrer l’impuissance du politique, une impuissance ici doublée d’une bienveillance constante.

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