Des mesures insuffisantes face à l’engorgement de la juridiction administrative

Des mesures insuffisantes face à l'engorgement de la juridiction administrative - Loi de finances pour 2010 : conseil et contrôle de l'État (Pixabay)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’axerai mon propos sur le programme « Conseil d’État et autres juridictions administratives ».

Certes, le budget de ce programme augmente de 5,7 %, puisque 322 millions d’euros sont inscrits en crédits de paiement, et les tribunaux administratifs bénéficient d’une hausse de 8,7 %.

Certes, la création de 50 emplois, dont 20 de magistrat et 30 d’agent de greffe, confirme la mise en œuvre du plan triennal.

Certes, enfin, l’ouverture récente du tribunal administratif de Montreuil-sous-Bois est positive.

Toutefois, je le déplore encore cette année, ces mesures demeurent insuffisantes face à l’engorgement de la juridiction administrative, conséquence directe de la stratégie gouvernementale.

À vrai dire, les moyens alloués seraient suffisants si la politique du Gouvernement n’augmentait pas d’année en année le contentieux de façon apparemment exponentielle. Le nombre de jugements rendus par magistrat et par an a connu une croissance sans précédent ces dernières années, passant de 240 à 275 entre 2004 et 2008, avec des « pointes » très fortes dans certaines zones, comme en Île-de-France, avec 378 affaires en moyenne à Cergy, 340 à Melun, 325 à Paris, et 304 Versailles.

Cela fait beaucoup !

Le tribunal de Montreuil-sous-Bois, créé surtout pour faire face à l’afflux du contentieux en Seine-Saint-Denis et rééquilibrer l’activité des tribunaux de Cergy-Pontoise et de Versailles, ne soulagera pas ceux de Melun et de Paris. La commission des lois demande d’ailleurs à leur sujet plus de moyens humains et matériels. C’est le moins que l’on puisse faire lorsque l’on connaît le tribunal administratif de Paris !

Nul ne doute que le tribunal de Montreuil-sous-Bois sera lui-même vite saturé. L’augmentation de sa capacité est d’ores et déjà prévue.

J’ai moi-même été saisie récemment par un justiciable qui, venu aux nouvelles, s’est entendu dire au tribunal de Cergy-Pontoise que le traitement des recours portait sur l’année 2006, et qu’il devrait donc attendre de nombreux mois !

Comment en serait-il autrement pour le contentieux relatif aux étrangers, avec une politique migratoire de plus en plus répressive ? Quand l’objectif est fixé à 26 000 reconduites à la frontière, les atteintes aux droits croissent inexorablement et, avec elles, les recours contre les refus de titre de séjour assortis d’obligation de quitter le territoire, auxquels s’ajoutent ceux des nombreux déboutés du droit d’asile devant la CNDA.

Les juges administratifs ont aussi à connaître du contentieux relatif à la mise en œuvre du droit opposable au logement, le fameux DALO, qui connaît une progression constante en Île-de-France, à Paris en particulier. Voilà le résultat d’une politique du logement qui donne la priorité à l’investissement locatif privé, bien peu à même de satisfaire à ce nouveau droit, créé à contrecœur, semble-t-il, puisque d’aucuns le regrettent déjà.

Quant au contentieux du RSA, sa montée en puissance est à venir en raison, d’une part, de l’augmentation du nombre des bénéficiaires par rapport au RMI, d’autre part, de la complexité du dispositif.

La juridiction administrative a aussi la charge du contentieux du permis à points, en forte progression. Il se résume pourtant bien souvent au simple constat du non-respect, par l’administration, de certaines formalités obligatoires, ce qui amène le juge administratif à prononcer nombre d’annulations. Dans un objectif de désengorgement, ne faudrait-il pas réfléchir à la mise en place d’un recours administratif préalable obligatoire ?

Dans ces conditions, les délais s’allongent pour les autres affaires - contentieux fiscal, marchés publics -, les juridictions devant donner la priorité aux contentieux enserrés dans des délais, c’est-à-dire ceux qui sont relatifs aux reconduites à la frontière et aux refus de titre de séjour.

Cette situation s’oppose de fait à l’obligation de résultat que le Gouvernement fait peser sur les juges administratifs, sauf à prendre des risques pour la qualité des jugements prononcés. Il n’y a en effet pas de bonne justice si celle-ci est mise en œuvre trop rapidement, en l’occurrence trop souvent par ordonnances et sans la garantie de la collégialité.

Quand la justice est regardée sous le seul angle de la révision générale des politiques publiques, alors que la politique menée engendre une augmentation systématique des contentieux, la situation devient assez difficile.

Il faut ajouter à cela la question immobilière. Si les programmes de travaux se poursuivent, de nombreux locaux sont trop petits, comme à Paris, et certains sont inadaptés ou en mauvais état, comme à Fort-de-France.

Enfin, l’accessibilité des locaux aux personnes handicapées est sans cesse repoussée.

Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas les crédits de cette mission.

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